Naufrages

38 9 5
                                    

— Il s'est passé quoi ? hurlait Na-kyung, le tee-shirt de Namjoon emprisonné dans son poing serré à en faire saillir chaque veine. On la cherche depuis début juillet !

La douceur de Na-Kyung n'était plus qu'un lointain souvenir. Il aurait retourné la terre entière si cela avait été possible. Il avait fallu que celui qui avait déjà tout ce qu'on pouvait souhaiter en ce monde vienne semer le chaos dans sa vie qui prenait un chemin plein de promesses. Ses poings voulaient parler pour lui.

— Tu lui as dit quoi ? Réponds ! Ordure !

Namjoon se murait dans son silence, les yeux obstinément fixés sur ses orteils crispés dans ses sandales. Il n'était que douleur.

Il y avait eu « eux » qui avaient fait un saut dans l'inconnu. Cela leur avait demandé du courage et un brin de folie. Il y avait eu ces semaines indescriptibles de voyages, de découvertes, et très certainement d'amour.

— Arrête ! On est ici sur son lieu de travail ! Ne nous donne pas en spectacle, se fâcha l'aïeule.

Alertés par les cris, Jungkook et Yoongi étaient sortis du studio dans lequel ils travaillaient. La première réaction du plus jeune fut de se précipiter vers son aîné dans un réflexe de protection mais Yoongi l'avait retenu.

A présent, ils étaient là, impuissants, assistant au naufrage de Namjoon et de son cousin qu'ils découvraient dans ces conditions effarantes.

— Est-ce qu'il sait, au moins ? murmura à lui-même Na-kyung, des sanglots dans la voix.

Sa grand-mère voulut l'entraîner vers les ascenseurs. Elle l'attrapa par la manche. Mais il restait là, planté. Ancré au sol. Il se retourna vivement vers son cousin, à deux doigts de le frapper pour de bon.

— Tu le sais, au moins ? Tu le sais qu'elle ne peut s'endormir sans avoir un oreiller ou quelqu'un dans les bras. Tu le sais que le 21 juin il ne faut pas la brusquer ? Tu le sais qu'il ne faut jamais l'appeler « mon petit chat » ? Tu le sais, dis, que tu dois toujours avoir une réserve de Skittles ? Elle est fragile ! Elle est si fragile...

— Viens, allons discuter dans mon studio, finit par dire Namjoon qui le regardait enfin.

— Que s'est-il passé ? demanda sans ambages Na-Kyung en s'effondrant sur la banquette.

Le tableau de Rothko suspendu au-dessus de lui complétait cette scène de douleur tragique. Et Namjoon se sentait comme le monstre. Pas un monstre par son ascension extraordinaire, mais un monstre au sens terrible du terme. Un être grotesque, anormal et cruel malgré lui.

Il ne voulait pas le rester. Alors il parla.

— Elle est venue me voir, par surprise. Jin lui a ouvert. J'étais au téléphone avec le secrétaire de mon ancienne division de l'armée. Il me disait que c'était délicat que j'adopte la mascotte à la retraite. Que je n'étais pas le seul à m'être proposé. Que cela pouvait être pris pour du favoritisme. Alors, je me suis un peu laissé déborder par mes émotions... mais j'ignorais sa présence. J'ignorais que c'était elle... fit Namjoon dont la voix se brisa... j'ignorais tout... elle ne m'avait rien dit...

— Et donc ? Où tu veux en venir ? gronda son cousin en se redressant et paraissant surpasser sa rage et reprendre de l'aplomb malgré ses yeux rougis.

— Lorsqu'elle est arrivée dans la pièce, j'étais en train de m'emporter... Je suppliais...

— Qu'est-ce qu'elle a entendu, bon sang ?

— « Laisse-le vivre avec moi ! Je serai un bon père ! » fit Namjoon au comble du désarroi. Vas-y, frappe-moi ! Je veux que tu me frappes ! Je t'en prie... c'est insupportable... toute cette inquiétude, cette douleur...

—     Je ne peux pas. Tu as piétiné ses sentiments. Tu l'as détruite. Même bien avant ça... Tu lui avais littéralement dit que tu ne voulais pas de cette vie-là ! Pour être honnête, te frapper ne me soulagerait même pas. Et puis, te frapper te donnerait l'occasion d'en vouloir à quelqu'un d'autre qu'à toi-même. Je ne veux pas t'offrir ça. Tu m'as tout pris. Tu me l'as prise. Tu ne la mérites pas...

Namjoon s'effronda au pied de son cousin fou de rage et de désespoir. Lui, si grand, si beau, si costaud, ne ressemblait plus qu'à une petite chose fragile qu'un coup de vent aurait suffi à balayer.

— Tu as raison. Mais comprends-moi, je t'en prie...

Na-kyung comprenait. Il comprenait tout. Mais il refusait d'oublier et de le ménager. Il ne pouvait qu'une seule chose : compatir. Malgré la jalousie, l'envie, la rage et la douleur, son cousin lui faisait pitié. Il lui tendit la main afin qu'il se relève. Et, une fois sur ses deux pieds, soudainement, avec toute la violence accumulée en lui, il lui décocha une droite. Son poing s'enfonça dans la pommette.

— Voilà. C'est tout ce que je peux faire pour toi ! Ne me demande plus jamais de te pardonner. En revanche, si on la retrouve, fais-TOI pardonner ! Même si ça doit te prendre toute cette vie et les suivantes ! Haaaa... et joyeux anniversaire ! lâcha Na-Kyung avant de claquer la porte derrière lui.

La Corbeille Où les histoires vivent. Découvrez maintenant