Astral

Chapitre 1

Presque cinq mois venaient de passer après avoir fait ce rêve étrange. J'avais essayé de passer à autre chose ayant l'habitude de faire des rêves de ce genre. Pourtant lui je n'arrivais pas à l'oublier. Depuis petite, j'ai la faculté de pouvoir faire des rêves lucides. C'est-à-dire des rêves que l'on peut contrôler en changeant le script comme cela nous arrange, en ayant pleine conscience qu'il ne s'agit pas de la réalité. Je ressens parfois les émotions en lien avec ce qu'il se passe et je me rappelle de chaque rêves au petit matin. Je trouvais même cela étrange que d'autres camarades de l'école primaire ne puissent pas se souvenir de leurs rêves comme si certaines nuits ils ne rêvaient tout simplement pas. Pour moi, c'était un voyage à chaque fois que le soleil se couchait. Aujourd'hui, je suis à l'université en troisième année de licence d'histoire de l'art. J'ai toujours aimé peindre ce que je voyais en rêve. Les paysages surtout. Je ne fais que rarement, si ce n'est jamais de portrait car s'il y a bien une chose dont je ne me souviens pas au réveil, ce sont les visages. Et pourtant, me voilà assise sur mon petit tabouret en bois à peindre depuis des mois celui que je n'avais pas oublié. La toile aurait pu déjà être finie, mais étant perfectionniste j'avais du mal à ne pas repasser et insister sur certains traits. Ou peut-être étais-je simplement dans le déni de le laisser. Car si je terminais cette toile, je n'aurais plus aucune excuse pour penser à lui chaque instant de ma vie.

-Tu es encore sur cette toile ? Me demanda Esteban.

Esteban était mon petit ami depuis bientôt trois ans. Nous nous étions rencontrés au lycée grâce à un ami en commun. Ça a tout de suite fonctionné entre nous et nous nous sommes vite rendus compte que nous nous aimions. Nous avons décidés d'emménager ensemble après deux ans de couple dans un petit appartement étudiant en plein centre de Bordeaux. Une grande ville dans le sud-ouest de la France, là où bon nombres d'étudiants comme moi venaient faire leurs études. Cela faisait donc quelques mois que nous partagions notre vie quotidienne. C'est un garçon très serviable et attentionné. Il a de bon résultats et est fils d'une bonne famille. Mais surtout, il écoutait toujours le récit de mes rêves et ne m'a jamais jugé par rapport à ça. Il avait d'ailleurs trouvé l'histoire des hommes-épouvantails comme tiré d'un scénario de film d'horreur. Quant à Luke, je n'avais bien évidemment pas raconté toute cette histoire de lien et des ressentis que j'ai pu éprouver pour lui. Je culpabilisais déjà bien assez comme cela. Comment pouvais-je tomber amoureuse d'un autre qui plus est inventé par mon esprit, alors que j'avais le meilleur des copains à mes côtés ? Je me sentais nulle. J'aimais Esteban à la folie.

-Celle-là aussi tu vas l'exposer pour le festival ? S'intéressa-t-il.

-Non je ne vois pas ce qu'elle ferait dans le thème du carnaval. Et puis mon autre toile prend déjà bien assez de place.

Dans à peine une semaine, un festival se tenait sur les quais près de la Garonne. On y célébrait la fête du fleuve et également la fête de la musique. Comme chaque année, on y venait déguisé. Cette année, le thème portait sur l'ambiance carnavalesque. On pourra sûrement y apercevoir arlequins, clowns ou encore cracheurs de feu. Avec ma faculté, nous aurons le privilège de pouvoir exposer nos œuvres tout le long de la Garonne. Il faut bien évidemment qu'elle soit en lien avec le thème. Nous étions libre quant au format de l'œuvre mais j'ai préféré misé sur ma force : la peinture. J'ai donc élaboré une toile en format paysage 100x73 représentant au premier plan, une femme allongée dans un lit de nuages. Son visage était dissimulée par les couvertures duveteuses et elle semblait dans un sommeil profond et apaisant. Elle était entourée de musiciens, jongleurs et tout autre personnages de carnaval avec des masques de peste notamment. En arrière plan, il y a la fameuse cathédrale de Bordeaux. Comme il s'agissait d'une très grande toile, je n'avais pas eu le droit d'afficher d'autres projets. Il fallait laisser de la place aux autres.