Rêveries

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L'air tiède des derniers soirs d'août la saisit avec douceur. Avec précaution, elle referma la porte derrière elle, puis descendit les quelques marches menant au jardin. Il faisait presque nuit, mais elle s'en moquait. Elle devait s'isoler afin de laisser son cœur se décharger paisiblement de son chagrin. Elle avait pris sur elle au repas, opposant une expression stoïque aux sourires désolés de ses parents, mais plus les minutes s'écoulaient et plus l'envie de pleurer se muait en besoin.

« Non, Chérie, les sirènes et les fées n'existent pas en vrai. Mais tu peux les faire vivre grâce à ton imagination. »

L'herbe haute chatouillait ses jambes à mesure qu'elle avançait en direction du petit bois. La gorge nouée, elle se forçait à regarder droit devant elle. Par habitude, sa langue s'immisça dans l'interstice entre ses dents du haut, résultat d'une course à vélo qui resterait dans les annales, et la pensée fugace que d'autres mystères risquaient de s'effondrer lui traversa l'esprit.

La fillette ravala un sanglot. Imaginer quelque chose qui n'existait pas lui semblait vain, dénué d'intérêt. À quoi bon nourrir des fadaises, si ce n'était pour se torturer davantage de ne jamais pouvoir les expérimenter ? Elle leur en voulait, à ses soi-disant piliers protecteurs, d'avoir encouragé tant d'inepties avant de stopper brutalement toute envie d'évasion. S'étaient-ils bien moqués, durant ces sept dernières années, de l'univers merveilleux qui l'habitait toute entière !

À l'orée du bois, elle ne prit que le temps d'allumer le cadran lumineux de sa montre avant de pénétrer dans l'obscurité. Elle connaissait l'endroit, s'y sentait en sécurité. Il suffisait qu'elle longe le petit sentier jusqu'au saule tortueux - et non pas tordu, comme elle s'amusait à l'appeler - puis à droite sur une quinzaine de mètres. Là, elle trouva le renfoncement naturel où elle avait l'habitude de s'installer pour lire, un entrelacs de racines en surface qu'elle affectionnait tout particulièrement.

Soulagée, l'enfant s'affala au sol, ramena ses genoux à son visage et s'autorisa enfin à libérer son trop-plein d'émotion. Silencieuses, aussi douces qu'inexorables, ses larmes creusaient des sillons mouillés le long de ses joues avant de s'écraser contre son short. Elle se sentait dupée, pitoyable. Ses songes n'auraient plus la même saveur, désormais. Est-ce que c'était ça, grandir ? Voir les couleurs de ses rêves devenir fades ? Entendre le brouhaha de son imagination s'assourdir ?

Perdue dans son chagrin, elle se glaça en sentant quelque chose progresser le long de son bras.

— Aaah ! Va-t'en ! cria-t-elle en se débarrassant de la bête d'un geste vif.

Projeté vers une racine supérieure, l'intrus s'écrasa en échappant un couinement aigu. La fillette en fut rassurée, comme si cette plainte lui garantissait que l'araignée, le mulot, ou toute autre bestiole que ce fut n'oserait plus s'aventurer aussi près.

Mais les crissements continuaient, et l'enfant finit par relever la tête, interloquée. Elle ne vit d'abord rien, le temps que ses yeux s'habituassent à nouveau à l'obscurité de la forêt. Cependant, guidée par le son insolite de son attaquant malchanceux, elle réussit à le localiser. Sa timidité empreinte de curiosité, elle avança le bras avec prudence, jusqu'à ce que le cadran lumineux de sa montre ne révèle la silhouette de l'intrus.

— Oh !

Médusée, la fillette contempla la chose verte, haute de quelques centimètres à peine, qui se mouvait devant elle. Pourvue d'une espèce de cape de feuilles, la bestiole se tenait sur deux jambes longilignes et s'époussetait avec vigueur. La tête ronde surmontée d'un couvre-chef feuillu au bout duquel pendait une unique goutte d'eau - lui donnant l'aspect d'un bulbe - on distinguait avec peine deux yeux à la lueur furibonde, un nez arrondi et une bouche grimaçante.

Au hasard d'une idée [nouvelles]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant