L'affaire de Détroit (1/5)

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Nouvelle écrite en collaboration avec ma chère Em_esse.

***

Putain, on se les pèle.

Accroupi au milieu des allées de containers, je frissonne en lorgnant le type étendu sur le sol glacé de ce début mars. La gorge et le menton maculés de sang, la cravate défaite, les traits figés pour toujours.

- Un travail propre, commente le petit légiste en face de moi. La lame a directement tranché dans la carotide. Pas sûr que les six coups aient été nécessaires pour obtenir le résultat escompté.

- La lame ?

- Très probablement un couteau de cuisine, précise mon interlocuteur. Ou un gros canif.

Je hoche la tête, perdu dans la contemplation du cadavre qu'on m'a refilé de bonne heure ce matin. Edgar Connor, délégué du Congrès, ancien chef des Commissions d'enquête et respect des procédures. Une pointure, un brin fouille-merde, un brin vicelard, foncièrement déterminé à traquer les crevures qui pullulent dans cette ville. Nouvellement lancé dans la politique, après une carrière haute en couleurs qui lui a valu autant d'admirateurs que d'ennemis.

Bien ma veine.

- Vous pouvez me donner une approximation de l'heure du décès ? intimé-je au légiste en avisant les mégots qui jonchent le bitume.

- La rigidité des tissus est déjà bien amorcée... J'estime que la mort remonte vers trois heures du matin, plus ou moins une heure.

Je hoche la tête, établis déjà une liste des potentiels suspects. Meurtre à l'arme blanche. L'affaire ne détonne pas dans le quotidien de Détroit, mais quand la victime est sous le feu des projecteurs comme l'a été Connor, il s'agit de se magner et de ne pas se planter.

Échappant un soupir de résignation, je me lève et alpague mon second.

- Gable, tu vas contacter le cabinet de la victime et réclamer son emploi du temps de la semaine. Pas de blague avec les synthèses, je veux l'agenda personnel de sa secrétaire. Tu préviendras également la famille, en t'assurant que les contacts ultérieurs avec la presse se réduisent au minimum.

- Bien, mon lieutenant, acquiesce-t-il avant de filer d'un pas décidé vers le groupe de bagnoles stationnées au bout des rangées de containers.

Ce faisant, je ne peux occulter le duo qui s'avance dans ma direction. L'une, courtaude et trapue, engoncée dans un tailleur chic qui lui confère une attitude plus féminine, l'autre, ultra corporate, le regard pétillant derrière des binocles carrées.

Fais chier...

- Lieutenant Archer.

- Chef Norton..., grincé-je en serrant la main de la première, saluant la seconde d'un signe de tête.

- Quelles sont les premières conclusions ? interroge ma supérieure.

- Six coups de couteau dans la nuque, décès vers trois heures du matin. Personne dans les environs la nuit, d'après le responsable de la zone. D'ordinaire, les dealers et leurs acolytes se retrouvent plus à l'Est.

- Connor n'était plus responsable de nos équipes, objecte Norton.

Sans déconner. Connaît-elle un seul flic qui raccroche définitivement ? Pour être bon dans ce job, faut en être mordu jusqu'à l'os, et malgré tout le ramdam qu'il a fait pour amorcer sa carrière de politicien, Connor ne faisait pas exception à la règle.

- Elaine ? ose Scarlet, un brin gênée de reprendre sa patronne devant l'un des hommes les plus méprisés par cette dernière. Je crois que la victime avait spécifié qu'elle utiliserait ses nouveaux pouvoirs pour renforcer la lutte contre l'insécurité de la ville ?

Norton plisse les yeux, balançant sans doute entre une pluie d'invectives et des remerciements convenus envers son assistante. Heureusement que Scarlet a le dos large, subissant sans broncher les aigreurs de la tyrannique chef de police de Détroit, laquelle finit par secouer la tête avec agacement.

- Oui, c'est vrai... Mais Connor était une personnalité bien connue des petites frappes du coin. Pourquoi aurait-il pris le risque de les confronter seul, sans prévenir quiconque ?

- Parce qu'il ne faisait confiance à personne d'autre que lui, marmonné-je en louchant sur le défunt, qu'une équipe s'emploie désormais à installer sur un brancard.

- Excusez-moi, lieutenant, mais j'ai travaillé en étroite collaboration avec Connor avant qu'il ne se retire des forces de l'ordre. Je pense pouvoir affirmer que la confiance était de mise.

Blasé, j'adresse un regard lourd de sens à cette foutue bonne femme qui m'horripile depuis des années. Pas la peine de jouer les rebelles, nos statuts respectifs jouent en ma défaveur. Pour autant, il vaudrait mieux qu'elle cesse rapidement de se pavaner d'arrogance devant moi.

Un regard valant tous les discours du monde, Norton la ferme enfin, fouille dans son sac et en ressort un paquet de Lucky Strike. Une grimace imperceptible déforme aussitôt mes traits. J'abomine l'odeur du tabac. Depuis toujours, ces saletés m'empoisonnent le pif, dans l'indifférence totale de ceux qui les consomment.

- Quelles pistes comptez-vous suivre ?

M'écartant d'un pas de la double source de rejet, je hausse les épaules.

- Sauf votre respect, Chef, je pense pas que Connor ait été tué par la racaille du coin. Ça colle pas.

- Mmh. Précisez.

- Il a pas d'hématomes sur le corps, juste les trous provoqués par l'arme de son agresseur. Et à part la cravate dérangée - et on voit au sang sur la chemise et les mains que c'est parce qu'il a essayé de s'en défaire pendant qu'il agonisait, y a aucune trace de lutte.

Pensif, je scrute le port, à la recherche d'un indice qui clignoterait parmi la masse de détails.

- Vous pensez que le meurtrier lui a donné rendez-vous, quelque chose de ce genre ? interroge Norton en expirant la fumée de son poison à retardement.

- Les coups de couteau ont été portés de l'arrière, et il n'y a aucune trace de lutte. Je pense que c'était prémédité, oui.

- Quel enfoiré..., commente l'assistante en fronçant les sourcils..

Sombre, je hoche la tête, et pousse un grognement lorsque la sonnerie de mon téléphone retentit.

- Ouais, Gable ? T'es pas déjà sur place, rassure-moi ?

- Lieutenant, je crois qu'on a résolu le mystère ! Le commissariat vient de m'appeler : y a un type qui s'est amené là-bas et qui prétend avoir tué Connor !

Au hasard d'une idée [nouvelles]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant