Rencontre au sommet

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Je vais crever.

Ligoté sur ma chaise, les membres comprimés, le souffle erratique, j'avale avec dégoût la bile accumulée dans ma bouche. Mes tempes bourdonnent, il fait trop chaud. Aussi vulnérable qu'un rat piégé dans une cage de labo, mon self-control menace sérieusement de foutre le camp dans la stratosphère. À la torture, je coule un regard brouillé vers la seule issue, une dizaine de mètres devant moi. Soupir dépité. Même si j'arrivais à ouvrir cette foutue porte, la certitude de clamser dans des circonstances peu enviables freine toute velléité de liberté.

Je ne sais même plus pourquoi j'ai accepté d'embarquer dans ce traquenard. J'espère au moins que la petite peste réalise ce que me coûte sa dernière lubie. Mon assurance, la fraîcheur de ma chemise, peut-être même ma vie.

Envahi de sentiments contradictoires, j'extirpe péniblement mon portable de ma poche. S'agirait pas qu'elle me la fasse à l'envers. Depuis le temps qu'elle me scie les nerfs, elle a intérêt à être au taquet. Tiens, quand on en parle...

Ciara
[ Respire, ça va aller. ]
[ En vrai, je suis super émue que tu m'aies réservé ta première fois ! ]

Pff... Malgré moi, mes lèvres s'étirent en un rictus goguenard. Voilà pourquoi je m'inflige ce calvaire. Pour cette fouine piquante et rusée, apprentie psychopathe et pickpocket à ses heures. C'était pas gagné, mais je dois reconnaître que notre duo fonctionne du tonnerre. Ciara est une chouette fille, et si elle n'avait pas décidé de s'exiler à l'autre bout de l'Europe, je crois même qu'elle figurerait en pole position de mes nanas préférées sur terre.

Putain, je déteste l'avion.

J'ai tenté d'argumenter, mais pas moyen d'obtenir gain de cause avec une bourrique aussi têtue. Glasgow-Naples, par les airs. Non négociable. « Pour une fois que tu peux te libérer une semaine, pas question de flinguer quatre jours dans le trajet ! » J'ai ronchonné. J'ai cédé. Elle me manque trop.

Si encore je tolérais les écrans dans les transports... Mais non, rien à faire, je suis incapable de fixer un écran plus de dix secondes sans ressentir les prémices d'une situation affreusement dérangeante. Encore une heure à supporter cet enfer. La chaleur, la promiscuité, le bruit, les turbulences... Bordel, fréquenter des gens n'arrange ni ma misanthropie ni mon stress. Jusqu'à mon dernier souffle, je maintiendrai qu'une boite de conserve géante n'a pas lieu de se balader dans les airs. J'espère juste que je ne me trouverai pas dedans le jour où le karma me donnera raison.

Bon, du calme. C'est vraiment pas le moment de lui rappeler ton existence, à lui. Change-toi les idées, plutôt.

Les lèvres pincées, je louche vers mon voisin de gauche. Un Français, si j'en crois les deux mots qu'il a échangés avec l'hôtesse au départ de Roissy. La petite trentaine, mince, les traits creusés. Indifférent au brouhaha crispant des passagers, il scrute l'horizon à travers le hublot.

Bon. Rien n'indique qu'il soit partant pour tailler une bavette, mais dans l'absolu, personne ne lui demande son avis. Là, tout de suite, j'ai besoin d'évacuer mon stress en focalisant mon esprit sur autre chose.

- Vous allez à Naples pour les vacances ?

Comme pour s'assurer que ma question lui est bien destinée, l'homme m'envoie d'abord une œillade brève, avant de marmonner :

- Non, j'ai une correspondance.

Timbre enroué mais doux. Et indéniablement frenchie, vu l'accent. Ok, ça ira. Feignant de ne pas remarquer qu'il a commencé à se détourner vers le hublot, j'enchaîne avec un intérêt passablement surjoué :

Au hasard d'une idée [nouvelles]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant