Sentence

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Je suis un misérable. Une ordure. Un sadique. Mais je suis le maître et la voleuse doit mourir.

Hypnotisé par les flammes dansant dans la cheminée, je ressasse encore et encore de vieux arguments convenus. Fut un temps où la situation m'aurait paru risible. Je n'ai jamais eu peur d'exécuter quelqu'un, c'est même une partie de mon métier. Depuis près de deux décennies, la mort ne m'inspire que de l'indifférence, un aléa occasionnel que je balaie sans remords. Les vivants méritent davantage de considération que les macchabées.

Lilia aurait dû ressembler à tous ces autres condamnés. Je me serais occupé d'elle sans m'y attarder, aurais géré la rancœur ou le chagrin de ses proches avec la dextérité de l'expérience, l'aurais oublié au bout de quelques rapides semaines.

Seulement, cette fille ne ressemble à aucun autre mort en sursis. À mon plus grand désarroi.

Tu es soucieux.

Interrompu dans mes pensées, je croise le regard inquiet de Kitty. Elle hésite à me déranger, mais ne peut s'empêcher de s'assurer de mon état. Avec un soupir, je libère mes genoux, m'enfonce confortablement dans le velours du fauteuil. Illico, la belle saisit l'invitation. Légère et caressante, elle me guigne en silence, attendant que j'aborde ce qui me torture depuis des heures.

— Lilia va mourir cette nuit.

L'étonnement glisse à travers ses mirettes bleutées.

Pour quel motif ?

— Elle a enfreint les règles du royaume et remis en cause la légitimité de l'empereur.

Le silence s'abat dans la pièce, uniquement troublé par les craquements de la bûche en train de se consumer.

Ce n'est pas un peu... radical ?

Kitty me dévisage avec circonspection. J'échappe un énième soupir. Je n'aime pas quand elle fait ça, j'ai toujours l'impression qu'elle me juge, alors que son rôle consiste précisément en l'inverse.

— Je n'ai pas le choix. Son sort est scellé depuis qu'elle a fait irruption dans mon monde.

Mais tu as appris à la connaître, depuis tout ce temps. Ce n'est plus une inconnue que tu dois sacrifier pour la cause.

Il s'agit d'un constat, pas d'une objection. Nier ne servirait à rien, si ce n'est à me ridiculiser.

— Si je lui laisse la vie sauve, l'équilibre sera rompu ! rappelé-je. Je ne peux pas le permettre, le royaume serait en péril !

Surprise par ma véhémence, Kit prend le temps de la réflexion. Elle ne souhaite pas me brusquer, c'est évident. En dépit de son caractère parfois égoïste, c'est une amie fidèle et une conseillère avisée.

L'équilibre avant tout. Tu dois assumer tes responsabilités.

Peut-être trop avisée. À moins qu'il ne s'agisse de jalousie féminine. La matoise réclame mon cœur depuis longtemps, sans que je n'obtempère pleinement. Nous ne sommes pas du même monde. Je suis le maître, celui qui décide, celui qu'on respecte, tandis que sa place doit rester dans l'ombre de mes quartiers. Elle partage mon lit et guide ma réflexion, mais son privilège s'arrête là.

Tu en as condamné d'autres, des fauteurs de troubles. Tu ne t'entoures que de ce genre de créatures !

J'ébauche un sourire las alors qu'elle me fouette la main avec humeur. Kit n'apprécie ni ses semblables ni les autres. Tout juste se conforme-t-elle à mes règles, et encore, pas toujours de bon gré. D'ordinaire, son tempérament m'amuse, mais ce soir, il m'accable davantage.

Au hasard d'une idée [nouvelles]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant