Un monde meilleur

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Ils m'avaient promis.

Plus d'affrontements, la fin d'un âge maudit où chacun n'avait en tête que sa propre gloire. Un monde pacifié, dans lequel l'homme et la nature retrouveraient une harmonie longtemps dédaignée. Leurs paroles instruisaient enfin les rêves que j'avais appris à taire. Des promesses espérées, des compromis qui ne lésaient aucune partie, une utopie qui s'esquissait timidement.

Ils m'ont menti.

Qu'aurais-je dû attendre des hommes ? Qu'ils recouvrent une raison qui leur a toujours fait défaut ? Bien qu'amer, le constat m'étonne moins aujourd'hui qu'alors. Cette race n'a jamais su se satisfaire de ce qui lui était offert. Que lui importait les bienfaits de notre Mère, quand ils ne lui permettaient pas de s'élever au-dessus des autres créatures ?

Ils n'ont que ce qu'ils méritent.

Tous s'indignent, certains se révoltent, aucun ne saisit mes véritables motivations. Ils me surnomment la Cruelle, m'abominent, me craignent. Ils ont tort. Ces fléaux qu'ils combattent ardemment, cette extinction qui approche chaque jour davantage, c'est de leur faute, pas la mienne. Je ne suis que l'instrument de la Justice, trop longtemps étouffée, enfin révélée dans sa toute puissance dévastatrice.

Leur punition n'a d'égale que leur barbarie. L'homme a réduit ce monde en cendres, il lui incombe de disparaître avec lui. Ses protestations ne m'atteignent pas, pas plus que ses vaines tentatives pour survivre au milieu de l'enfer. Un bourreau n'a pas le droit de se prétendre victime.

Ils ont toujours laissé leurs émotions dicter leur conduite. L'ambition, l'égoïsme, l'orgueil, autant de tares qu'ils ont cultivés à l'excès, jusqu'à franchir le point de non retour. La nature en a payé le prix fort. Et ça, notre Mère n'a pu le tolérer. Je ne l'ai pas supporté.

C'est précisément dans ce but qu'Elle m'a créée. Pour veiller sur Son œuvre, rétablir l'équilibre, instaurer l'harmonie. Parce qu'elle connaît l'avidité des hommes et la fragilité de Ses autres enfants.

Mon initiation a été rapide, évidente. J'excellais dans tous les domaines, mais, née et élevée au bord d'un lac, c'est tout naturellement qu'on m'a attribué la protection des eaux. L'eau, reflet de la vie, tantôt vulnérable, tantôt destructrice. Des profondeurs des mers aux cascades déchaînées, du fleuve placide au ruisseau agité, j'étais partout chez moi. La flore rayonnait par mes soins, la faune m'adorait.

Puis les hommes sont arrivés.

J'ai voulu les accompagner. Patiemment, je leur ai appris l'intérêt des rigoles et comment utiliser les ressources de la terre et de la mer sans nuire aux autres créatures. J'ai renforcé certains barrages, détruit beaucoup d'autres, réexpliqué. Ils me respectaient, avaient à cœur de suivre mon enseignement. L'équilibre a duré près de deux mille ans, jusqu'à l'irruption du garçon dans mon univers simple et apaisé.

Il était jeune. Il était seul. Mon instinct de protection s'est déployé. Je l'ai emmené dans ma demeure, sous le lac où je suis née, et lui ai inculqué plus de connaissances qu'un mortel ne devrait jamais posséder. Vaillant et cultivé, promis à un brillant avenir, mon protégé faisait ma fierté sans cependant me combler. À l'aube de sa vingtième année, je l'ai présenté à un roi nouvellement proclamé et dont les idées me séduisaient.

C'est à cette cour que je l'ai rencontré.

Lui, le plus savant homme que cette terre avait porté et porterait jamais. Doté d'un savoir considérable, il était respecté, adulé plus encore qu'une idole. Tout l'intéressait, chaque concept se devait d'être expérimenté, il ne vivait que pour la connaissance. Sensible aux arts élémentaires, il maîtrisait également la médecine et l'histoire des mondes, savait manipuler l'esprit et les choses, démontrait des aptitudes aux arts sombres. Un tel concentré de pouvoir en un seul être, mortel de surcroît, m'intriguait énormément. Il était tout simplement l'humain le plus puissant de la création entière.

Quand il m'a proposé de m'instruire, je n'ai pas hésité longtemps. Il avait saisi ma curiosité pour sa science, j'avais compris la sienne pour ma condition, aussi nous sommes-nous rapidement accordés. À ses côtés, j'ai engrangé davantage de connaissances qu'en plusieurs millénaires d'existence. Grâce aux dons que j'acquerrais, mon influence s'est étendue au-delà des eaux. J'ai veillé sur les montagnes, les forêts, les villes. J'ai soigné, consolé, rendu justice. La civilisation prospérait, la nature resplendissait. J'ai éradiqué des épidémies, changé des destinées, ramené des âmes parties trop tôt.

Je suis devenue la Gardienne de la création.

Jaloux de mes talents, surtout conscients de leur insignifiance, les hommes ont commencé à se rebeller, réclamant autonomie et savoirs. Méfiante, je suis restée muette à leurs suppliques, quand mon ancien maître, plus fou que sage, a accédé à leur requête. Il vieillissait, réalisait d'un œil critique l'extrême puissance que je serai un jour seule à posséder.

Il ne s'est pas écoulé vingt ans avant les premiers débordements. Des étangs se sont taris, des forêts ont brulé, des guerres ont éclaté. Frustrés de ne pas tous les détenir, les hommes se disputaient des bribes de pouvoirs, concluaient des alliances pour mieux les trahir ensuite, utilisaient leurs dons pour escroquer, saccager, tuer.

Affolée par un comportement aussi néfaste, j'ai préservé cette terre du mieux que je pouvais. Quelques tribus m'ont épaulée avant de se détourner à leur tour. J'ai dû sévir à plusieurs reprises afin de rappeler à l'ordre ces égarés. Pestes et grippes sont survenues régulièrement, mais l'homme est un éternel enfant, et à mesure que les générations se succédaient, elles réitéraient les erreurs de leurs ancêtres.

À force d'alliances et de trahisons, ils ont réussi à détenir un ensemble de connaissances remarquable, sans en assumer les responsabilités premières : la conservation de l'harmonie, le dévouement envers notre Mère, le respect de Sa création. Ne comptent à leurs yeux que la richesse et la suprématie de leur espèce sur les autres.

S'ils ont toujours incarné les rejetons belliqueux de ce monde, les humains ont désormais perdu leur naïveté et leur sottise. À présent indéfendables, ils constituent une menace majeure pour l'équilibre. Il n'existe aucune rédemption possible pour une race aussi corrompue.

J'ai dédié ma vie à la protection de ce monde, je sais comment il fonctionne, je le respire à chaque instant. Je ne le précipite pas à sa perte, comme le clament les ignorants, j'accélère sa renaissance. Libérée du poison de l'humanité, cette terre retrouvera sa splendeur d'antan, épanouie dans un nouveau cocon, où les lois seront siennes. 

Quant à moi, je veillerai sur elle, ainsi que je l'ai toujours fait. On ne m'appellera plus la Cruelle. Je redeviendrai Nimué la Juste, gardienne des anciens secrets, protectrice de la nature.

D'ici quelques semaines, mes multiples fléaux auront achevé leur œuvre, et nous entrerons dans un monde inédit.
Un monde meilleur.

Au hasard d'une idée [nouvelles]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant