Chapitre 5

77 3 0
                                    

Assise sur la terrasse arrière de la maison, je fixe les rives du lac, un peu plus loin. Le froid se faufile sous mes vêtements, malgré leur grand nombre et leur épaisseur.

Je ramène mes genoux à ma poitrine, frottant mes bras à l'aide de mes poings. Je grimace face à la douleur que mes plaies à la peau me procurent. Il y a deux jours, j'ai de nouveau fait un cauchemar. Et il a fallu que je me lave, pour être propre.

Sauf que le cauchemar était plus réaliste que toutes les autres fois. Plus violent. J'avais l'impression d'y être de nouveau. Je le voyais de nouveau. Je le sentais de nouveau. Sur moi, en moi, à me faire du mal, à m'insulter. À me détruire après m'avoir réduite au silence.

Et j'ai cette désagréable sensation qu'il est encore là. Je le ressens sur chaque cellule de mon corps. Jamais je n'y arriverai. Jamais je n'arriverai à guérir, à aller mieux, à apprendre à vivre avec... Ça fait dix ans. J'ai perdu espoir depuis bien longtemps déjà.

Un triste et long soupire me quitte tandis que je plonge mon visage dans le creux de mes deux genoux. Ma vie est-elle vouée à revivre cette nuit? Est-elle vouée à la souffrance et à la solitude? Est-ce que toute ma vie je vais avoir peur de sortir, de croiser des gens, et de leur parler?

-Muse...

Je relève la tête au son de cette voix. Uma est debout dans l'encadrement de la baie vitrée, dans un tailleur gris qui met en valeur sa grande silhouette taillée. Pour se parer du froid, elle a uniquement enroulé une écharpe autour de son cou, et a chaussé des baskets.

-Salut...
-Qu'est-ce qu'il t'arrive? Tu as d'horribles cernes.

Sans que je ne puisse me retenir encore, j'éclate bruyamment en sanglot, sous le regard inquiet et désolé de mon amie. J'entends ses pas s'approcher, puis deux bras m'envelopper.

Je retiens mon souffle, sursautant face à ce contact. Réflexe. Petit à petit, je me détends et continue de pleurer pendant qu'elle me berce, collant mon visage à son ventre. À l'aide de mes maigres bras, je la serre étroitement contre moi.

-Je suis fatiguée Uma. Fatiguée.
-Je sais ma chérie. Lâche tout, ça te fera du bien.

Mes sanglots redoublent. Ils sont si intenses que je me sens obligée de les taire dans le ventre de mon amie pour ne pas alerter les voisins. Encore moins ce voisin.

Ça ne sert à rien de vouloir rester forte quand ce que l'on ressent nous dépasse. Je ne le sais que trop bien. J'ai voulu garder la tête haute, j'ai voulu surpasser ça, je voulais être fière de moi, ressentir à nouveau ce sentiment.

Mais rends toi à l'évidence. Tu n'es pas forte.

-Je suis désolée, désolée... Pardon...

Uma se détache de moi pour me fixer droit dans les yeux. Elle me sourit en séchant mes larmes à l'aide de ses pouces.

-Ne t'excuses pas. Jamais. Tu le sais bien.
-Je suis un fardeau pour toi.
-Ne dis pas...
-Si! Je... je suis incapable de vivre normalement, et je t'empêche de vivre ta vie pleinement. Tu es obligée de t'occuper de moi comme on s'occuperait d'un bébé.
-D'accord. Peut-être que tu as raison, que je m'empêche de sortir sans toi, de fréquenter des hommes pour toi, peut-être que je perds du temps en venant te voir si souvent et en m'occupant de toi.
-Tu vois! Tu le pense toi-même!

Je me redresse pour frotter mes yeux. La désagréable sensation de l'humidité de ma peau me dérange encore plus avec le froid qu'il fait. Uma me regarde d'un œil sévère, les poings dans le creux de ses hanches.

-Mais si je fais ça, c'est par envie. Bon sang, Muse... J'ai envie de te voir heureuse, épanouie. Tu te souviens, au début, tu me parlais de la jeune fille que tu étais au lycée. Je rêve un jour de la rencontrer, cette petite fille qu'on a détruite. Si je suis là, aujourd'hui, c'est parce que je le veux. Ce n'est pas toujours marrant, je te l'accorde, et je sais que tu en as assez aussi. Mais on fait avec.
-On fait avec...

À cœur perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant