Chapitre 8

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♧Muse♧

J'observe silencieusement le petit oiseau qui se balade au milieu du jardin. Ça m'apaise un peu. Mais vraiment un tout petit peu. Malheureusement. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis ici, à fixer un oiseau faire une exploration nocturne de mon jardin.

Il ne m'a pas vu. Ce qui explique pourquoi il est encore là. Je n'ai pas réussi à bouger depuis qu'il est arrivé. Parce qu'il m'a fait penser à mon voisin. Et à son anecdote sur le nid qui borde le lac.

Je n'arrive pas à m'enlever de la tête et je ne sais pas pourquoi. Peut-être à cause du regard qu'il m'a lancé quand il m'a vu. Une regard que personne n'avait porté sur moi.

J'avais l'impression qu'il était heureux, mais aussi surpris. Et puis... il y avait quelque chose d'autre. Un petit quelque chose que je ne connais pas. La surprise et la joie, je connais. J'ai connu ces sentiments, et je les connais encore quand Uma les vit.

Mais il y avait une lueur inconnue dans son regard, qui étrangement m'a fait plaisir. Et puis... Et puis j'ai tout gâché. Encore. Et je n'ai lu que la culpabilité et la pitié dans son regard quand j'ai fondu en larme après avoir refusé son invitation.

Tu es si faible.

C'est tout ce que je ne voulais pas. Qu'il ait pitié de moi comme on a pitié d'un chien errant. Je ne veux pas non plus qu'il culpabilise parce que je ne suis plus qu'une âme détruite qui erre sur la Terre sans but.

Je ferme violemment les paupières lorsque des bribes de mon cauchemar de cette nuit reviennent me hanter. J'ai fait un cauchemar. Encore. Je voulais appeler Uma. Parce que j'avais besoin de quelqu'un.

Mais il était vingt-trois heures. Elle sortait avec Emory et ses amis. Et nous sommes en froid depuis mon excès de colère de la journée. Enfin, d'hier. Je suis certaine que minuit est passé depuis longtemps. Et tout ça explique pourquoi je suis dans le froid, sur ma terrasse, à fixer un oiseau.

Je sens le froid nocturne souffler sur le sillon de mes larmes. Voilà à quoi je suis réduite: faire des cauchemars qui m'empêchent de me rendormir et pleurer tout le reste de la nuit.

Mon visage trouve naturellement le creux de mes genoux, tandis que j'entoure mes jambes de mes bras pour les plaquer un peu plus contre ma poitrine. Et je pleure. Encore.

C'est tout ce que tu sais faire.

Je pose mes mains à plat sur mes oreilles, me mordant sévèrement la lèvre inférieure. Réflexe. J'aimerais faire taire cette voix dans ma tête. Lui dire qu'elle a tort.

Pourquoi continue-t-elle de me hanter et de me rabaisser? Je ne veux plus l'entendre. Je ne veux plus entendre mes sanglots, je ne veux plus revivre cette affreuse nuit, encore et encore et encore. Je veux juste être enfin en paix.

Tu sais comment faire. Tu l'as déjà fait. Il suffit de quelques secondes, et tout sera fini.

Non! Je ne veux pas faire ça. Je ne peux pas faire ça. Il y a Uma. Et puis... j'ai envie de vivre. D'être heureuse. Même si mon espoir se craquele un peu plus chaque jour...

Même te suicider tu n'en ai pas capable. Lui-même te l'a dit. Tu ne sers à rien.

"Tu n'es qu'une pauvre fille sans avenir. Une incapable. Autant que j'en profite."

-NON!

Je secoue frénétiquement la tête pour éloigner toutes ces mauvaises pensées et ces souvenirs douloureux. Réflexe. Je sais que je devrais appeler Uma, parce que ma crise est plus importante que les autres fois. Mais je ne veux pas.

Même elle ne veut plus de toi. Pathétique.

-Muse?

Je relève la tête à l'entente de cette voix souple et pourtant si puissante et grave. Emory. Il est du côté de son jardin, laissant une distance de trois mètres entre ma chaise et lui.

Honteuse, je replonge mon visage dans mes genoux. Réflexe. Mes pensées noires s'éparpillent, et ce jusqu'à disparaître. Je sens sa présence. Et ça suffit à me réconforter. Je ne suis pas seule. Il y a des gens qui s'inquiètent pour moi.

Et j'aime à croire que mon voisin en fait partie. Grâce à lui, mes démons prennent congés, et mes larmes cessent. C'est assez paradoxal, puisqu'aujourd'hui même, j'ai commencé à pleurer en sa présence.

Mais ça n'avait rien à voir avec lui. C'était juste les circonstances qui t'entourent depuis des jours.

-Vous n'auriez jamais dû voir ça. Excusez-moi.

Je relève légèrement la tête pour essuyer mes yeux. Il n'a pas bougé. Ses mains sont dans ses poches de jean. Et il me fixe en silence. Je sens mes joues chauffer, et ce de façon inexplicable.

-Vous allez bien?

Je suis surprise qu'il me demande ça, et surtout de cette manière. Je soupirepuis secoue négativement la tête. Je crois que c'est assez évident, de toute façon.

-Pas vraiment.
-Vous voulez m'en parler? Je veux dire... peut-être que ça vous soulagera un peu de parler. Pour vous libérer un peu. Je ne vous demande pas de tout me raconter dans les détails. Enfin... Je suis là si vous voulez parler, quoi... Je m'enfonce là, non?

Un fin sourire vient étirer mes lèvres. Et, je l'avoue, je ricane même.

-Un peu, oui. Mais c'est amusant. Vous... vous voulez venir vous installer?
-À la même table de jardin que vous?
-Euh... oui?
-Vous ne semblez pas être sûre. Je vais rester là.
-Vous êtes sûr?
-Et vous?

Je baisse la tête. Il n'a pas tort.

-Pas vraiment.
-Alors chacun reste à sa place. Et vous gardez votre espace vital.

Je hoche la tête, le regardant se balancer d'un pied à l'autre. Est-ce que je peux vraiment lui faire confiance? On se connaît à peine, après tout.

Mais tu n'as plus rien à perdre.

C'est vrai.

-J'ai fais un cauchemar. Encore. J'aurais dû appeler Uma, mais on est en froid, et puis elle était avec vous. Je ne voulais pas gâcher la soirée.
-Et ce cauchemar?

Je ferme les yeux quelques secondes avant de passer ma main dans mes cheveux.

-Il était là. Il est toujours là. Je suis fatiguée de revivre sans cesse la même chose depuis dix ans.
-Qui était là? Si vous êtes en danger, Muse, il faut le dire.

Je secoue la tête.

-Je ne suis plus en danger. Mon seul danger, ce sont mes souvenirs. J'aimerais pouvoir tout oublier. Ou juste faire avec. Je ne sais pas, en fait. Je n'ai pas fait de nuit complète depuis dix ans, et je suis incapable d'avoir des relations sociales un minimum normale. J'ai l'impression d'être un monstre...

Un long silence suit ma lamentation. Je n'ai jamais dit tout ça à voix haute. Et c'est assez étrange de le faire. Pourquoi ne dit-il rien? Suis-je allée trop loin? Probablement...

-Vous n'êtes pas un monstre, Muse. Seulement une jeune femme qu'on a détruite. C'est ce que je vois en tout cas. Mais vous restez forte. Je ne sais pas ce qu'il vous est arrivé, et je ne vous demande pas de me le dire. Personne ne mérite ce que vous vivez. Si ça vous pèse autant, vous devriez parler à un professionnel.
-J'ai déjà une psychanalyste. Elle fait ses séances en face-time. Et sans elle... je ne serais même pas là à vous parler. Je sais qu'il reste du travail, mais elle m'a redonné espoir il y a quatre ans. Je m'accroche à ça.
-Je comprends. J'ai une amie dans ce domaine. Elle fait aussi de la soffrologie. Ça pourrait vous aider, de parler avec elle.
-C'est gentil...
-C'est surtout normal. Vous méritez d'être heureuse. Et pour ça, j'ai une solution! Je ferai demain des cookies!

Un large sourire naît sur mon visage. Et mes yeux se remplissent de larmes.

-Merci. Merci beaucoup. Je vous remercie du fond du cœur.
-On pourrait se tutoyer maintenant, non? Je te fais des cookies, après tout.
-Oui. Tu as raison.

Tu n'es plus seule Muse.

Tu peux te battre. Ils seront là pour te rattraper et te relever. Ils sont là.

À cœur perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant