Chapitre 3 : Mandevilla ✔️

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— Violette ?

    La brune se leva d'un bond de son assise, surprise par mon intrusion dans le sas où elle dactylographiait. Derrière ses larges lunettes à la monture carré en écaille brun qui dissimulait son visage ovale, j'aperçus, tout juste, les yeux ronds qu'elle ouvrait sur ma présence.

— Marianne, répondis-je, souriante, poursuivant d'un pas décidé mon chemin.

— Elle est en rendez-vous, m'annonça-t-elle, espérant me faire ralentir. Violette, tu ne peux pas. Violette ! Violette !

    La secrétaire de direction entonnait encore mon prénom d'une voix flûtée lorsque je déboulai dans le bureau de la patronne.

    — Jacinthe ! On a un putain de problème !

    La concernée releva vers moi un regard meurtrier tandis que le rendez-vous en question pivotait de son assise pour me faire face. Un homme dans les soixante-dix ans, élancé, se tenant droit comme un i. Il me détailla sans discrétion, laissant paraître sa pensée quant à ma tenue. Certes, je n'étais pas au top : habits crasseux de la veille, chevelure ébouriffée, mine à faire peur, il n'empêchait... Vieux pervers !

    — Violette, ce n'est vraiment pas le mom...

    — Rien à faire ! C'est super urgent.

    La couleur vive qui envahit les joues de la responsable en chef m'indiqua clairement que mon intervention impromptue ainsi que mon incivilité n'allaient pas rester impunies. Elle bredouilla quelques mots d'excuses à son vis-à-vis qui se montra des plus compréhensifs.

    — Ne vous en faites pas, madame D'Embert. Je repasserai, je vois que vous avez à faire à une situation... inattendue.

    — Bien sûr. Absolument, quand cela vous siéra. Je me tiens à votre disposition !

    Je levai les yeux au ciel devant tant de courbettes bien futiles. Si le vieillard s'adressait à notre agence, c'est qu'il connaissait notre catalogue, nos compétences. Une réputation établie depuis plusieurs générations. Évidemment qu'il reviendrait, s'il souhaitait que l'une de nos mannequins pose pour sa marque, il ne la retrouverait nulle part ailleurs !

    — Marianne. Voulez-vous raccompagnez monsieur Lindner, s'il vous plaît ?

    — Oui madame D'Embert.

    La préposée restée en retrait quelques pas derrière moi, s'exécuta aussitôt et enjoignit monsieur j'ai-un-balai-entre-les-fesses à la suivre.

    Jacinthe garda son sourire de façade jusqu'à ce que la porte se referme dans mon dos.

    — J'espère sérieusement que ce que tu as à me dire est significatif, Violette ! gronda-t-elle. Parce que là, tu outrepasses toutes les limites ! Est-ce qu'obéir à un seul petit ordre est trop demandé ? Et puis, pourquoi es-tu seule ? Ambre est censée rester avec toi tout le temps.

    — Justement.



Après avoir éclairci la localisation précise de Ambre, les réactions en chaînes n'avaient pas tardé. Jacinthe avait réuni deux autres agentes – les jumelles Morwy –, ainsi que le service des pompes funèbres de Dille, associé à l'agence, dans la plus absolue discrétion. Le secteur d'activité n'était que très peu sollicité, à ma connaissance, mais pouvait se révéler utile pour passer sous le radar des forces de l'ordre et des services affiliés lors de décès. Je refis donc la route de la veille en compagnie de mes collègues tandis qu'une fourgonnette réfrigérée banalisée nous suivait.

    Mandevilla, commune reculée dans laquelle nous nous rendions, se trouvait bien trop loin pour que j'espère échapper à un interrogatoire en règle. Si le premier trajet m'avait parue pénible, ce ne fut rien en comparaison de celui-ci. Un assaut de questions auquel je n'avais pas de réponses, fusa. A priori, nous nous posions les mêmes interrogations. Que s'était-il passé ? Pourquoi aurait-on abattu la nouvelle recrue et pas moi ? Et pour quelle raison ? Nous n'avions rien vu d'exceptionnel après tout ! Au fil des kilomètres, une demande se détacha logiquement du lot. Comment étais-je rentrée à la capitale si ma voiture était restée sur place ? Y avait-il eu quelqu'un d'autre ? Face à l'insistance de mes semblables pour avoir des explications concrètes qui permettraient de remonter une piste, quelle qu'elle soit, je noyais le poisson. Non, il n'y avait personne. J'avais fait du stop dès que j'avais repris connaissance. J'étais désorientée, j'avais peut-être une commotion ! jouai-je sur l'intérêt de ma santé physique, étonnamment non abordée jusque-là malgré la plaie recouverte de strips que j'arborais sur la tempe. Les filles compatirent, il me faudrait passer un peu plus de temps à l'avenir entre les mains de la maquilleuse avant de poser. J'étais exaspérée !

Une exploratrice en Talons Aiguilles [Tome 1 + 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant