Chapitre 5 : Le Général de France

205 11 47
                                    

Notre liesse s'arrête net. Simon semble croire à une farce, mais le visage de notre chef est grave, plus encore que d'habitude. J'observe ses mains, me demandant s'il va tenter d'attraper le revolver. Veut-il se suicider ? Est-ce là le but de son petit discours : un fugace espoir, avant de partir sur un ultime pied-de-nez avec une balle dans la tête ? Non, ça ne lui ressemble pas. Si cette arme doit être utilisée, ce ne sera pas par lui-même. Cela ne peut signifier qu'une chose :

- Donovan, pourquoi l'un d'entre nous voudrait te tuer ?

Il semble amusé que je sois le premier à comprendre le sens de ses mots.

- Chacun d'entre vous en aurait les raisons. Cela fait deux ans que nous partageons nos repas et nos souvenirs, mais il y a certaines choses que je ne peux plus garder cachées. Je me suis fait juge trop longtemps, alors que je devrais être l'accusé.

Des révélations qui nous pousseraient à en vouloir à sa vie ? Que pourrait-il nous apprendre ? Une affiliation avec les agents de la Brise, un quelconque trafic au service des collaborateurs ? Je suis dans la même situation, seule Sham sait que mon père travaillait pour la Fraternité. Nous avons tous remarqué son attitude de militaire chevronné, ses tons sévères de décideur et sa connaissance des ouvrages interdits trop poussée pour qu'il n'y ait pas eu accès. Nous savons qu'il ne nous a pas tout dit sur son passé, mais ce n'est pas le moment de poser une bombe de ce genre au sein du groupe.

- La Semaine Rouge a effacé qui nous étions du temps de la Fraternité. dis-je. Paris était un enfer bien avant l'attaque des Orbes, nous avons tous dû franchir l'une ou l'autre des limites pour y survivre. Nous savons que tu as des secrets, mais, pour ma part, je m'en moque. Si on est en vie, c'est grâce à toi. Je n'ai pas besoin d'en savoir plus.

Simon acquiesce sans dire un mot. Sham hésite, puis fait de même. Nathaniel et Jack n'ajoutent rien, immobiles sur leurs chaises. Le vieil homme s'accorde un frêle sourire.

- J'apprécie votre geste, sincèrement, mais ce soir la situation a changé. Depuis la catastrophe, j'ai fait de mon mieux pour vous protéger, autant des souterrains que de vous-même. Mais ce n'est plus d'un protecteur dont vous avez besoin, c'est d'un chef de guerre pour prendre cette ville d'assaut. Si c'est à moi de vous mener dans ce combat, vous méritez de savoir qui vous y entraîne... Vous pourriez y réfléchir à deux fois avant de me suivre.

Je me lève et abats mon poing sur la table, excédé.

- On. Ne. Veut. Pas. Savoir ! Qu'est-ce que ça nous apporterait ? Douter de tes ordres dès qu'une situation tourne mal ? Ne plus savoir sur qui compter en permanence ? C'est se tirer une balle dans le pied ! Et quand bien même, que veux-tu nous apprendre, hein ? Que tu étais un collabo ? Un proche du dictateur Demyan Mériadec, peut-être ?

Le visage de Donovan se décompose. Chaque ride et chaque cicatrice tapissant ses joues s'affaisse et il vieillit de vingt ans en l'espace de quelques secondes. La lueur persistante dans son œil bleu se fane et ses épaules retombent en un épouvantable soupir.

- C'est infiniment pire que cela. Je suis Demyan Mériadec.

Le temps s'arrête. Mon corps s'arrête. Mon cerveau s'arrête. Comment cela pourrait-il être vrai ? Mériadec s'est volatilisé lors de la Semaine Rouge et personne n'en a entendu parler depuis. Nous étions persuadés qu'il était reparti auprès du Patriarche après avoir ravagé Paris, et il aurait été avec nous tout ce temps ? Celui qui a fait bâtir le Mur, posant chaque brique de notre prison. Celui qui a installé les Orbes et les rideaux de fer. Celui qui s'est fait le bourreau de notre ville et de notre pays, balayant des siècles d'Histoire au nom de l'idéal abject de la Fraternité. Serait-ce cet homme fielleux, corrompu et malveillant que j'ai sous les yeux ?

Orbes PourpresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant