Chapitre 19 : Le Cœur des Ombres

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L'effet du Bloody Brain finit par s'estomper. J'ai du mal à dissocier ce que j'ai imaginé de ce que j'ai vu, tout paraissait si réel. A présent que le chandelier s'est éteint, je suis noyé dans l'obscurité, sans aucun fil d'Ariane pour me tirer du labyrinthe. J'erre dans les souterrains à la recherche d'un passage vers la surface, mais j'ai beau tâter les parois et écouter les appels d'air caractéristiques, je ne parviens pas à retrouver mon chemin. J'atteins une station aux néons cassés, monte des escaliers, mais aboutis sur de nouvelles galeries au lieu de couloirs de métro. Les tunnels et égouts se succèdent sans la moindre issue, je ne me suis jamais senti aussi désorienté dans l'Envers. Je navigue dans un dédale digne des lithographies de M.C. Escher, même les notions de haut et de bas ne s'appliquent plus en ces lieux.

Après un temps indéfini, l'odeur d'os secs m'indique que je suis revenu dans un ossuaire. Retour à la case départ... Je me laisse choir par terre, épuisé. Il n'y a pas d'issue, je commence à le comprendre. Même si le Bloody Brain s'est dissipé, je n'ai pas quitté le domaine de l'Homme Gris. Je vais finir comme Philibert Aspairt, égaré dans les Catacombes jusqu'à en mourir de faim. Il me l'a dit, je suis dans le Cœur des Ombres.

Une lueur ténue apparaît à quelques rangées de crânes de moi. Est-ce l'un des Enfants du Minotaure ? Depuis ma disparition, ils auraient amplement eu le temps de monter tuer Jack avant de descendre me pourchasser. A moins que ce ne soit un nouvel agent d'Omnys ? Il pourrait avoir envoyé l'un de ses drones ici, voire même un Orbe Humain pour me leurrer. La plus grande probabilité reste cependant qu'il s'agit de Jack, qui aura fini par prendre son courage à deux mains pour venir me chercher. Suspicieux, je m'approche à pas feutrés.

Une silhouette se déplace à grandes foulées, chacun de ses pas est volontairement audible à quelques galeries à la ronde. Elle cherche à se faire remarquer, appât un peu trop appétissant pour ne pas éveiller la méfiance. Je me glisse dans le sillage de l'ombre, elle est fine et petite, mais se tient avec une rigidité que Jack ne peut pas avoir. Elle tient une lampe à acétylène et observe les empreintes au sol. De toute évidence, elle est sur ma piste, mais comment a-t-elle fait pour me trouver ? Il y a trop de traces de présence humaine dans ces souterrains pour que quiconque repère celles que j'ai laissées. Je continue à la suivre, prenant garde à ne pas entrer dans son faisceau lumineux. Elle s'arrête subitement et ne bouge même pas sa lampe pour regarder aux alentours quand elle dit :

- Montre-toi. Je sais que tu es là.

Je me fige, je n'ai pourtant pas fait le moindre bruit.

- Manoé, je connais tes stratagèmes de camouflage par cœur, reprend la silhouette, je sais que tu es planqué derrière moi. Arrête de jouer au con et sors de là.

J'ouvre des yeux ronds comme des soucoupes en reconnaissant la voix.

- Sham ? dis-je, éberlué.

Je sors de ma cachette sans réfléchir et avance vers elle, le cœur au bord de l'implosion. Après quelques secondes pour m'habituer à la lumière aveuglante de sa lampe, je la reconnais. Elle porte un débardeur noir en dessous d'une veste en cuir et son pantalon surmonte des chaussures de marche neuves. Mon fusil est en bandoulière sur son épaule droite, celle qui a été blessée. Je repère le kriss à sa ceinture, mais elle n'a pas une posture menaçante. Ses cheveux, qu'elle avait coupé court, ont repoussé pendant ces trois semaines d'absence, lui conférant une allure plus féminine. Un frisson me parcourt quand je retrouve les détails de son visage : son nez busqué, les perles noires de ses yeux, ses lèvres fines et entrouvertes.

- C'est toi... C'est vraiment toi ! je murmure.

- Qui d'autre aurait été assez cinglée pour venir te chercher jusqu'ici ? rétorque-t-elle.

Orbes PourpresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant