Nous sommes le 18 août 2060, et aujourd'hui, nous affronterons les Orbes.
Mes yeux ensommeillés s'ouvrent pour trouver le visage de Sham, étendue sous la couverture près de moi. La jeune fille ne dort pas, elle observe le plafond, songeuse. J'essaye de deviner les pensées qui l'agitent, de comprendre si derrière ce masque infaillible se cache de la peur, de la colère... De l'espoir ?
C'est elle qui risque le plus dans notre combat. Elle était loin des barreaux de notre prison, et pourtant, elle a préféré revenir. J'ai encore du mal à y croire malgré ces dix jours passés ensemble à entraîner les Enfants de Déborah, malgré ces escapades près de la Tour Montparnasse pour préparer notre invasion, malgré ces nuits passées à faire l'amour, combattant l'imminence de la mort avec tout ce qu'il nous reste de vie.
- A quoi penses-tu ? dis-je, tout bas.
Une inflexion de ses lèvres m'indique qu'elle m'a entendu. Elle reste silencieuse quelques précieuses secondes, dont je profite pour admirer son profil.
- Je pense à l'après. finit-elle par répondre. Tu nous as parlé de la fin des Orbes, des ressources de la ville à notre disposition et du remède miracle de Jack contre les radiations, mais, quoi qu'il arrive, rien ne nous attend au-delà des portes de Paris.
Je me recroqueville, nu sous les draps, étreint par une violente sensation de froid.
- Nous n'allons pas à Montparnasse que pour les Orbes, on y va pour savoir ce qui a provoqué ce désastre.
- Ça ne changera rien au fait qu'il n'y a plus rien à manger. Ça ne ramènera pas l'herbe sur les plaines.
- Il y a encore une place pour nous Sham, même dans un monde pareil.
Je la prends dans mes bras, son front luit à la pâle lueur qui traverse les stores de notre chambre.
- Tu ne comprends pas. murmure-t-elle. Si la Fraternité et les Amériques sont encore debout, ce n'est qu'une question de temps avant qu'elles referment leur tenaille sur nous. Si elles sont anéanties, c'est qu'il n'y a plus rien à sauver.
- Si elles essayent de nous rattraper, on leur échappera, et s'il n'y a rien qui nous pourchasse, il n'y aura qu'à reconstruire.
- C'est ça le problème. Tu veux reconstruire, mais reconstruire quoi ?
Je fronce les sourcils, pris au dépourvu.
- Hé bien... je ne sais pas. Trouver de la nourriture, aménager des routes, rassembler des groupes. Qu'y a-t-il d'autre à faire si la planète est foutue en l'air ?
- Et ensuite, quoi ? On fait comme si de rien n'était et on revient au monde d'avant ? C'est ce même monde qui a donné le merdier dans lequel on est en ce moment. Que ce soit sous le Patriarche ou sous les politicards corrompus qui l'ont précédé, ma vie aurait été la même.
- Tu étais en Inde, Sham. Ici, c'est la France, ça n'est pas la même...
Elle monte sur moi et me plaque au fond du lit. Le galbe de sa poitrine se découpe dans le contre-jour, mais je ne peux voir que la fureur sur son visage.
- Pas la même chose, Manoé ? Tu crois que je n'ai pas remarqué ton air condescendant quand les Enfants de Déborah te racontent leurs histoires ? Je sais ce que tu penses : que c'est parce qu'ils viennent de l'étranger. Que les Arabes sont des fanatiques, les Africains des sauvages, les Asiatiques des dégénérés !
- Sham, je n'ai jamais...
- FERME-LA ! C'est à cause d'ordures avec une mentalité comme la tienne qu'on en est là. Vous vous cachiez derrière vos bouquins et les croutes que vous appelez des tableaux, mais tout ça, c'est du vent. Tu veux savoir à quoi ressemblait la France avant la Fraternité ? Vous traitiez les étrangers et les femmes comme de la merde, vous vendiez vos armes au plus offrant, vous aidiez des dictateurs à prendre le pouvoir dès que cela servait vos intérêts. La Fraternité elle est aussi née ici Manoé, alors dis-moi ce qu'il y a à reconstruire ! Dis-moi !
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Orbes Pourpres
Научная фантастикаParis, 2060. L'Europe est tombée sous le joug de la Fraternité eurasiatique, super-Etat dont la doctrine d' "Unité humaine" consiste à faire disparaître l'Histoire et la culture pour unifier les peuples. Depuis deux ans, les Orbes Pourpres, des dron...