Revenir jusqu'à la station École Militaire nous prend presque deux heures. En plus de ramper, nous devons transférer nos trouvailles d'une voiture à l'autre, fusil par fusil, sac par sac. Les Orbes continuent de sillonner les airs, mais ce n'est pas maintenant que l'un d'entre nous se laissera tuer. La pluie semble plus chaude, le ciel moins gris... Tout va bien. Pour la première fois depuis une éternité, tout va bien.
Arrivés au métro, Nathaniel sort d'une cachette pour se jeter sur moi, tout sourire. Il a patienté une demi-journée dans le noir, incapable de savoir si nous reviendrions. Cela me rappelle l'intenable attente que je devais subir chaque fois que ma mère sortait trouver de la nourriture. Je le serre fort. A présent, il n'est plus question de perdre quiconque.
Nous rassemblons notre butin sur le quai : des provisions pour deux bons mois, des médicaments et des armes et munitions en parfait état. Nous avons même récupéré des manteaux neufs, excepté Simon, qui a catégoriquement refusé de ressembler à un agent de la Brise. Tant pis pour lui, ces trench-coats sont légers, rembourrés et imperméables. Un véritable trésor dans l'Envers.
- Avec tout ça, personne n'osera nous attaquer. dit Sham. On pourrait s'installer n'importe où dans les souterrains et être en sécurité. Que fait-on ?
- Il faut trouver un endroit sûr à la surface. répond Donovan. Nous pourrions tout à fait survivre dans l'Envers, mais nous attirerions les convoitises. Les Enfants du Minotaure sont affamés et imprévisibles, et ils ne sont pas les seuls à rôder. Dans un immeuble, nous serons loin de leur terrain de chasse et, surtout, nous aurons une position parfaite pour attaquer les Orbes.
L'Indienne grimace à cette ineptie. Pourquoi sacrifier une position de force dans les galeries pour une nouvelle vie pleine de dangers près des drones ? Pourtant, l'idée est tentante. Jusqu'à présent, vivre dans un immeuble paraissait impossible. Il est très difficile d'ouvrir les vantaux de fer aux portes et fenêtres, et il n'était pas question de devoir faire face aux Orbes à chaque fois que nous sortions à l'extérieur. Avec autant de vivres et d'armes, cela devient nettement plus réalisable.
- J'en suis. dis-je. Je n'en peux plus de ces tunnels.
- Jack est d'accord. dit le fou.
Nathaniel n'a pas l'air de tout suivre, mais il acquiesce en signe d'appui.
- Je suppose que je vais suivre la majorité, soupire Sham, mais nous choisirons notre nouvelle adresse à l'unanimité.
- Tout à fait d'accord, approuve Simon, et j'ai une idée qui devrait convenir à tout le monde.
Nous parcourons les égouts pendant une heure avant d'arriver à la sortie que recherchait le grand blond. La pluie cascade par torrents par chaque bouche d'égout sous laquelle nous passons et le niveau de l'eau nous arrive aux hanches. Les canalisations étant les tunnels les plus élevés de l'Envers, les lignes de métro et galeries des environs doivent être complètement immergées. Fluctuat nec mergitur, « Il est battu par les flots, mais ne sombre pas », telle était la devise de Paris. Comme si cette ville était un vaisseau insubmersible, naviguant sur les embruns pour l'éternité. Quelle arrogance... Paris n'est désormais qu'une épave naufragée, sombrant toujours plus profond vers l'oubli.
J'ignore où le résistant nous emmène, mais je n'aime pas me rapprocher autant du fleuve. Il monte l'échelle d'une bouche d'égout, soulève la plaque d'un seul bras, puis attend qu'un Orbe passe avant de sortir à l'extérieur.
- Manoé, monte me filer un coup de main ! s'exclame-t-il.
Je gravis les échelons et l'aperçois, caché sous un camion. Les eaux de la Seine ont englouti la route et je m'étouffe à moitié dedans pour le rejoindre.
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Orbes Pourpres
Fiksi IlmiahParis, 2060. L'Europe est tombée sous le joug de la Fraternité eurasiatique, super-Etat dont la doctrine d' "Unité humaine" consiste à faire disparaître l'Histoire et la culture pour unifier les peuples. Depuis deux ans, les Orbes Pourpres, des dron...