Le goût du sang me réveille, il imprègne ma bouche et jusqu'à mes narines. Ma tête chavire, j'ai l'impression de naviguer sur un fleuve d'hémoglobine. J'ouvre un œil et constate que je suis dans l'une des chambres qu'occupait Simon, la pièce est presque vide si ce n'est le grand lit où je dormais. Quelqu'un a pris le temps de me déplacer ici et m'a même couvert d'un plaid. Depuis combien d'heures ai-je perdu connaissance ? Et surtout, pourquoi ? L'image brouillée de Sham apparaît dans mes pensées, puis la crosse du fusil qui occupait tout mon champ de vision. Je me redresse et palpe l'endroit où elle m'a frappé.
L'Indienne ne m'a pas loupé, ma canine droite a été décapitée d'un coup sec et ma lèvre est enflée comme une montgolfière, même l'effleurer suffit à réveiller une peine ignoble. J'écarte la couverture et tente de me lever, mais mes jambes sont fragiles comme du coton et mes pensées bourdonnent. C'est encore pire que lorsque je me suis réveillé avec la gueule de bois ce matin.
Après deux bonnes minutes, je parviens à claudiquer jusqu'à la porte. Il faut que je comprenne ce qu'il s'est passé pendant que j'étais inconscient. A peine ai-je pointé le nez dehors que je vois le corps de Donovan, allongé au sol. On lui a croisé les bras sur le torse, il aurait presque l'air serein si son visage n'était pas tuméfié par le poison. J'avais oublié sa mort, ainsi que celle de Simon, et la trahison de Nathaniel, et la révélation de Jack... Je prends ma tête entre mes mains, pensant d'abord que la migraine est en train de revenir, mais ce sont des larmes qui commencent à couler jusqu'à mon menton.
Morts. Ils sont tous morts. Et, comme toujours, ils m'ont laissé derrière eux.
Je tombe à genoux et me mets à sangloter. Quand les larmes s'arrêtent, je ne suis capable que de hoqueter, noyé par les émotions qui fondent sur moi comme le ressac d'une tempête. Puis ne reste que le silence, l'effroyable silence de l'impuissance. Qui était ce garçon qui croyait pouvoir sauver le monde ? Il me paraît flou, lointain. A-t-il jamais existé ?
Je serais resté prostré là pendant des heures, pendant des jours, si la porte du salon ne s'ouvrait pas.
- Manoé est réveillé. dit Jack
Cette nouvelle ne lui fait ni chaud ni froid, il me quitte très vite du regard pour s'avancer vers Donovan. Il porte les mêmes vêtements que tout à l'heure, mais son visage et ses mains sont recouverts de bandages ensanglantés. Je ne parviens qu'à apercevoir ses yeux vides et quelques tignasses de cheveux noirs. Ce que je distingue de sa bouche me fait penser qu'il aurait mieux fait de se couvrir complètement.
- Jack, que s'est-il passé ?
Il ne me regarde toujours pas, tourne autour du corps de notre ancien chef en réfléchissant, mais répond quand même :
- Manoé a pensé qu'il pouvait utiliser les sentiments de Sham comme moyen de pression. Même Jack n'est pas assez fou pour penser que ça aurait pu marcher.
Sa pique touche juste. Je n'aurais jamais dû tenter d'acculer Sham en utilisant sa prétendue affection pour moi, surtout pour la pousser à faire quelque chose d'aussi dangereux. Simon m'a menti, ou peut-être s'est-il trompé. J'aurais dû tenter de la convaincre autrement, j'aurais dû être sincère. J'espère qu'il n'est pas trop tard.
- Où est-elle ? Il faut que je lui parle.
D'un mouvement de main, le petit homme écarte les cheveux qui collent au front de Donovan et sort un mouchoir pour sécher le sang répandu dans ses rides et cicatrices. Tous ses efforts ne lui rendront pas un visage humain. Tous ses efforts ne le ramèneront pas à la vie.
- Sham est partie. finit-il par dire. Sham ne reviendra pas.
C'est ce que je craignais. Par réflexe, j'essaye de me mordre la lèvre et me rappelle trop tard qu'elle est blessée. La douleur est fulgurante.
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Orbes Pourpres
Ficção CientíficaParis, 2060. L'Europe est tombée sous le joug de la Fraternité eurasiatique, super-Etat dont la doctrine d' "Unité humaine" consiste à faire disparaître l'Histoire et la culture pour unifier les peuples. Depuis deux ans, les Orbes Pourpres, des dron...