Nous dormons au Nadar, emmitouflés dans nos anciennes couvertures de fortune. J'avais oublié comme je me sentais en sûreté dans ce refuge caché au plus profond de Paris. Le lendemain, nous remontons à la surface et tentons une nouvelle expédition au Champ-de-Mars. La porte du Blockhaus est restée ouverte, ce qui rend la tâche plus facile, et les Orbes gardent la même routine de déplacement. A plusieurs reprises, j'en remarque qui semblent dévier de leur trajectoire, s'attarder ou ralentir... Mais, finalement, tous continuent leur route comme si de rien n'était. Est-ce la paranoïa qui me fait penser ça, ou Omnys veut-il nous laisser croire que nous sommes encore en sécurité ? Je ne comprends pas ce qu'il fait, c'est comme s'il avançait ses pions sur une partie de l'échiquier qui m'est invisible. Il sait que nous sommes là, j'en suis persuadé. Il le sait, et il ne fait rien !
Récupérer des armes et des vivres nous prend à peine une journée. Si elle n'avait pas eu de si lourdes conséquences, la trahison de Nathaniel n'aurait été qu'un contretemps. Nous rentrons ensuite au Quai d'Orsay et, pendant une semaine, nous préparons notre arsenal et pansons nos blessures. J'effectue chaque jour des exercices physiques, mon corps doit être prêt. Mes pensées ne quittent pas Omnys et le danger qu'il représente, mais dérivent fréquemment vers Sham. Par réflexe, ma langue va trouver la canine qu'elle m'a cassée lorsque je pense à elle. A-t-elle réussi à fuir Paris ? Les Orbes l'ont-ils attrapée ? J'essaye de chasser ces questions autant que possible, mais elles me tiraillent chaque heure de chaque jour. J'espère qu'elle est loin, qu'elle est sauve. J'espère que je ne la reverrai plus jamais et pouvoir toujours m'imaginer qu'elle a trouvé un avenir meilleur au-delà des murs de notre prison.
A l'aube du huitième jour, nous nous préparons à partir. Jack retire ses bandages et laisse à l'air libre ses croûtes hideuses. Il fait peur à voir. La peur sera utile, là où nous allons. Je le force à mettre un pistolet à sa ceinture, à cacher un couteau dans sa manche et à porter un gilet pare-balles. Il se plaint tout du long, mais finit par obtempérer. De mon côté, j'enfile un jean et mon trench-coat noir, puis accroche l'étui du Bowie à ma ceinture. J'abandonne le revolver de Simon et récupère un semi-automatique trouvé au Blockhaus. En combat rapproché, un fusil serait trop encombrant.
Nous replongeons dans l'atmosphère moite des égouts et nous mettons en route vers une destination que j'ai tenté d'éviter durant deux ans. Jack gémit derrière moi, traîne du pied, mord ses doigts à peine guéris. Il tente même de s'enfuir et je suis forcé de le poursuivre sur trois galeries pour le rattraper. J'aurais dû lui mettre une laisse au cou plutôt qu'une arme à la ceinture ! Je le fais passer devant moi et ne le lâche plus d'une semelle, mais le petit homme continue de se plaindre, de bégayer, d'implorer. Toute la semaine, il a essayé de me faire changer d'avis et, même maintenant, il pense pouvoir me faire flancher :
- Manoé a perdu la tête ! Ce n'est pas comme ça qu'Omnys sera stoppé !
- Nous avons besoin d'aide et ils sont les seuls à qui on puisse en demander. Ça ne m'enchante pas plus que toi, mais c'est le seul moyen.
- Il y a les Métropolitains !
- Suicidés.
- Le Trio des Troglodytes ?
- Assassinés entre eux.
- La Sororité des Faucheuses ?
- On est passés plusieurs fois sur leur territoire sans problème, mon avis est qu'elles sont mortes.
- Si on se fait tuer, on accélérera la victoire d'Omnys.
- Si on ne fait rien, on l'assurera.
- Jack pense que c'est une mauvaise idée.
- Jack pensait que des putains de cyborgs-zombies étaient une bonne idée, alors Jack ferait mieux de la fermer et d'avancer !
Je lui botte le train et il finit par accélérer le pas. A vrai dire, j'ai moi aussi envie de prendre mes jambes à mon cou, mais j'ai eu beau réfléchir à toutes les solutions possibles, aucune autre que celle-ci n'est envisageable. C'est ça ou la mort, et la mort paraît presque séduisante en comparaison. Ma langue passe sur ma canine brisée, qu'aurait fait Sham à ma place ? Je dois puiser comme elle dans mes ressources cachées, trouver la force du survivant. Même avec ça, parviendrai-je à tenir tête à l'assassin de mon père et de toute cette ville, au fils sadique de Donovan, au chef de la Brigade de Sécurité ? Saurai-je faire face au Minotaure ?
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Orbes Pourpres
Science FictionParis, 2060. L'Europe est tombée sous le joug de la Fraternité eurasiatique, super-Etat dont la doctrine d' "Unité humaine" consiste à faire disparaître l'Histoire et la culture pour unifier les peuples. Depuis deux ans, les Orbes Pourpres, des dron...