Orbes Pourpres

Chapitre 12 : Les Liens du Sang

Le choc l'a assommée, j'ai l'impression de tenir une poupée démantibulée. J'essaye d'articuler des mots, mais aucun son ne sort de ma gorge. C'est impossible. Ça ne peut pas arriver. Impossible. Je ne peux pas quitter des yeux la blessure au-dessous de sa clavicule, là où son pull s'humecte d'un sang de plus en plus sombre.

- Qu'est-ce que j'ai fait... Mon dieu, qu'est-ce que j'ai fait ? murmure Simon.

Il ne me regarde pas, son attention est focalisée sur Sham, inconsciente dans mes bras.

- Comment j'ai pu faire ça ! s'exclame-t-il, alors que des larmes pointent aux commissures de ses paupières. Merde, comment j'ai pu faire ça !

Il jette le fusil comme s'il s'était changé en serpent venimeux et se met à trembler, en état de choc. Je compresse la plaie de la jeune Indienne et mes doigts se trempent de son sang. Son sang... Son sang... Il coule sur mes genoux et se répand sur le sol, je n'arrive pas à l'arrêter. Comment puis-je l'arrêter ?

- Me fais pas ça, Sham. je bredouille. Je t'en prie, me laisse pas tout seul...

Elle ne m'entend pas, ne réagit pas. Son visage a l'air endormi, elle dérive sereinement vers l'oubli. Si je veux la sauver, chaque seconde compte. Je regarde autour de moi à la recherche de quelque chose qui pourrait stopper l'hémorragie, mais nous sommes dans un salon, rien ne servira. Je retire mon manteau et attrape la manche de ma chemise entre les dents. J'essaye d'en arracher un pan suffisamment large pour faire un garrot, mais, avec une main prise à stopper l'écoulement du sang, j'en suis incapable. Il me faut de l'aide. Je me tourne d'abord vers Donovan : il est évanoui et, à voir la flaque écarlate autour de ses plaies, il a lui aussi grand besoin de soins. Je me retourne ensuite vers le grand blond, qui contemple ses mains qui s'agitent comme des feuilles en plein orage.

- Simon ! je crie. Amène-moi de quoi lui faire un garrot, sinon elle est perdue !

Il m'observe de ses yeux vitreux, les mots que je viens de prononcer n'ont pas eu le moindre sens pour lui.

- Je... Je l'ai tuée. lâche-t-il. Je l'ai vraiment tuée. J'ai tué Sham...

Je grince des dents et me prépare à lui hurler une nouvelle fois dessus, mais c'est peine perdue, il me faudrait un temps fou pour lui remettre les pieds sur Terre. Je vais devoir compter sur quelqu'un d'autre, mais qui ? Jack et Nathaniel sont eux aussi paniqués : le petit homme est recroquevillé et se grignote les ongles tandis que l'enfant frémit en se cachant derrière lui. Ils ne sont pas prêts, mais ils sont les seuls qui peuvent me prêter main forte. Je regarde le fou droit dans les yeux et m'écrie :

- Jack, aide-moi ! Elle a besoin de toi, on a tous besoin de toi. Je t'en supplie, viens m'aider !

Il me fixe sans bouger, il n'écoute jamais ce que je lui dis. Mais cette fois-ci, il ne peut pas m'ignorer, il faut qu'il m'aide !

- Jack ! je m'exclame, excédé. Écoute-moi, si un jour dans ta vie, un seul jour dans ta petite vie de cinglé, tu dois comprendre ce que je te dis, c'est maintenant ! Connecte les deux derniers neurones que tu n'as pas encore cramés et regarde-moi ! Elle a besoin de toi ! JACK !

Et pour la première fois, le petit homme réagit. Il cesse de se ronger les ongles et s'approche à pas feutrés. Quand il arrive à ma hauteur, il prend ma manche et la déchire d'un coup sec.

- Manoé doit relever Sham, dit-il, Jack va la bander.

Je redresse la jeune fille et le fou étale le morceau de tissu sur son dos. Il déchire d'un coup sec la partie droite du débardeur de la blessée et inspecte la plaie avant d'y apposer le reste du bandage. Il fait un nœud très serré au-dessus de l'épaule et le corps de Sham se tend d'un coup. Elle a toujours les yeux fermés, mais son expression se contracte sous l'effet de la douleur. Elle est encore vivante. Pour l'instant, elle est encore vivante... Jack maintient la pression des deux côtés de la blessure pour éviter un nouvel écoulement de sang.