Chapitre 18 : Bloody Brain

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Deux semaines. Deux putains de semaines à attendre, et rien ne se passe. Je tourne en rond dans mon appartement, les nerfs à vif. Mon bras droit, enrubanné pour cacher les points de suture, me lance affreusement. Peu importe, je serais prêt à me l'amputer si ça pouvait changer quelque chose au calvaire de cette attente. Aucun des Enfants du Minotaure n'est venu toquer à notre porte, aucun Orbe n'a fait irruption au Quai d'Orsay et aucune nouvelle de Sham ne nous est parvenue. Juste l'attente, l'incertitude, la tension qui monte. Nous sommes en plein œil du cyclone, une zone de calme absurde au milieu du champ de bataille.

Quand Nathaniel nous a attaqués, je croyais assister au commencement de l'apocalypse, je pensais que chaque jour les Orbes fondraient sur nous pour nous achever, mais la stratégie d'Omnys m'apparaît de plus en plus clairement : il joue une guerre d'usure. Jusqu'à présent, il s'est contenté de laisser ses drones déambuler dans les rues et il reste désormais moins de trente survivants sur toute la rive gauche. Pourquoi changer une tactique qui marche ? Il n'a qu'à patienter pendant que nos réserves s'amenuisent, que notre moral faiblit et que notre vie se raccourcit. Il a tout son temps.

C'est Sham qui avait raison, j'aurais dû la suivre hors de la ville plutôt que de jouer au héros.

Je sors, descends les marches qui me séparent du rez-de-chaussée quatre à quatre et, arrivé devant l'appartement de Donovan, ouvre la porte avec fracas. Jack écarquille les yeux en me voyant entrer.

- Quelque chose est arrivé ? demande-t-il.

- Absolument rien n'est arrivé ! dis-je, aigrement. Depuis le temps, ils devraient être venus, non ? Que ce soit pour nous aider ou pour voler nos provisions, les Enfants du Minotaure auraient déjà dû monter à la surface !

Il a le regard fuyant, lui n'espère pas vraiment leur venue. De toute façon, il n'espère rien, n'attend rien. Mais moi, j'y crois encore ! Du moins, j'y croyais en sortant de l'antre du Minotaure. Il s'est passé quelque chose d'important dans ce bunker, ces enfants ne peuvent pas avoir repris leur routine morbide après que leur chef soit mort. Ils ont forcément compris que ce n'est qu'ensemble que nous réussirons à fuir Paris. Mais leur absence parle d'elle-même : ni eux ni Jack ne pensent que ce combat en vaut la peine. Tous autour de moi sont résignés, alors à quoi bon...

Je remarque la bouteille de vin que Donovan a trouvée, posée, intacte, sur l'étagère. Le mot laissé par sa propriétaire est encore à côté : A ouvrir pour la victoire ! Je me souviens que le général avait ri en lisant ce message. J'avais cru qu'il s'amusait du supplice qu'il avait infligé aux Parisiens, mais, à bien y réfléchir, je pense qu'il devait plutôt admirer la résilience avec laquelle certains se sont opposés jusqu'au bout à la Fraternité. Cette pugnacité ne nous a cependant pas sauvés. Russes, Indiens, Allemands, Chinois... Elle n'a sauvé aucun d'entre nous. J'attrape le grand cru millésime, cette bouteille qui valait probablement plus que cet appartement tout entier sur le marché noir, et en casse le goulot sur le bord de l'évier. Jack s'exclame :

- Pourquoi Manoé a fait ça ? Même Donovan n'en a pas bu !

Un peu de vin a coulé, mais la plus grande partie de l'alcool est encore dans la bouteille. J'avale une lampée en prenant garde à ne pas me couper. Le goût est divin, soulève des saveurs comme je n'en ai jamais connu, mais je m'en contrefiche. Je m'essuie avec la manche et rote comme le dernier des ivrognes.

- Je ne fais que suivre les directives de sa propriétaire. dis-je, avec dépit. Je bois à la victoire. Celle d'Omnys. Celle des Orbes.

Le fou s'approche et pose une main consolatrice sur mon épaule.

- Manoé ne doit pas penser ça. Manoé a vaincu Oskar, personne d'autre n'en a été capable !

- Qu'est-ce que ça change ? Cette raclure m'a cassé le nez et m'a ouvert le bras, et maintenant, on est de retour à la case départ.

Orbes PourpresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant