Chapitre 14 : Les Yeux d'Omnys

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J'abandonne son corps sous la pluie et n'arrive qu'à récupérer le fusil avant de m'enfuir. Son visage était congestionné de douleur et ses larmes écarlates se répandaient dans les sillons entre les pavés.

Pourpre. Son visage était pourpre, ses veines étaient pourpres. Je cours à en perdre haleine dans les tunnels. L'ivresse de la veille a disparu, la peur a été un coup de tonnerre qui a définitivement éclairci mes pensées. Je m'arrête et vomis copieusement sur les rails du métro. Après cette nuit que nous avons passée à boire et bavarder, comment a-t-il pu disparaître si subitement ? Mais l'indéniable est là : Simon est mort, et je l'ai laissé à pourrir sur le trottoir.

Cela faisait deux ans que je n'avais vu personne empoisonné par le Bloody Brain, j'avais presque oublié ce spectacle cauchemardesque. Il a tenté d'arrêter l'afflux de sang vers son cerveau en étranglant son cou, mais n'est arrivé qu'à lacérer sa gorge et à laisser de longues stries rouges sur sa peau. Il avait les mêmes yeux que les autres, les mêmes yeux qu'Hugo.

Nous n'avons pourtant commis aucune erreur ! L'Orbe ne pouvait pas savoir que Simon était dans le Chat Noir, et il y est entré quand même. Il a vu la porte ouverte, les rideaux de fer défoncés, et a compris que quelqu'un s'y cachait. Il n'a pas réagi selon un protocole de surveillance, il a été capable de déduction et d'action. Cela pourrait représenter notre mort à tous.

Mon père m'avait expliqué la différence entre les ordinateurs de protocole, qui n'accomplissent que la tâche qui leur est demandée, et les intelligences artificielles, capables de réflexion et d'amélioration. Ce qui vient d'arriver ne peut signifier qu'une chose : Omnys, l'ordinateur qui contrôle les Orbes, a évolué. Il vient de dépasser son programme qui n'impliquait jusqu'à présent que d'abattre les personnes dans les rues et, si mon pressentiment se confirme, ses drones pourraient bientôt descendre jusque dans les souterrains, ce qui signerait une fin définitive à toute vie sous Paris.

Je ne suis pas prêt à mourir, pas alors que nous sommes enfin près du but. Nous savons où trouver des armes et comment détruire les drones, bientôt, nous pourrons quitter la ville ! Mais même cet espoir s'effrite. Nous venons de perdre Simon et un traître se cache au sein de notre groupe, nous n'avons jamais été si vulnérables. Il suffirait qu'un Orbe observe l'entrée du Quai d'Orsay pour comprendre que nous nous y cachons. En ce moment même, Sham et les autres sont peut-être en train de faire face à ces machines meurtrières. Un sanglot monte dans ma gorge, mais je me retiens et force encore le pas. Je ne peux pas penser à Simon, il est mort et nous sommes vivants. Si je ne rentre pas à temps, cela pourrait ne pas durer.

Quand j'arrive au Quai d'Orsay, je guette les Orbes comme jamais auparavant. D'habitude, je cours d'une voiture à l'autre aussi vite que possible, mais, cette fois, je tends l'oreille à chaque bruit dans la rue. Si les Orbes sont dotés d'intelligence, ils pourraient changer leur méthode de surveillance : s'arrêter en pleine rue, accélérer, arriver en groupe... L'éventail de possibilités me fait tourner la tête. Les proies sont redevenues les prédateurs, et nous ne sommes qu'un gibier facile pour eux.

Pourtant, après le passage d'une dizaine d'Orbes, il semble qu'ils suivent toujours le même modèle. Trente secondes pour traverser une rue, giration au rond-point, puis départ dans une rue adjacente. Aucun changement de vitesse, et ils continuent à suivre leur circuit au millimètre. Du moins, c'est ce qu'ils veulent me laisser croire...

Je rampe sur le macadam, me recroqueville sous une carcasse de voiture, puis pique un sprint jusqu'à l'entrée du Quai d'Orsay. Je claque la porte derrière moi, mais, même à travers le bois, je sens leurs caméras sur moi. Je tombe par terre et me laisse enfin aller. Des larmes brûlantes et infinies me montent aux yeux. J'ai perdu Simon, cet homme qui était devenu un frère. J'essaye de me souvenir de son sourire avenant et de ses blagues paillardes, mais la seule image qui me vient est celle d'yeux rouges. Mes lèvres tremblent et je peine à articuler :

Orbes PourpresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant