Chapitre 7 : Blockhaus

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Je me jette sous la voiture alors que l'Orbe est presque sur nous, mes poumons essoufflés me brûlent comme si on les attaquait au tisonnier. Quand le drone s'éloigne, Sham me colle une taloche dans l'épaule.

- Ça va pas de foncer comme un dingue ? Tu aurais pu nous faire tuer !

- Désolé, Simon courait vers la voiture où je comptais me cacher, j'ai été pris de court.

- Simon connaît les rues, il n'aurait eu aucun mal à s'en sortir. Alors que toi, on dirait que ça t'amuse de nous mettre en danger !

J'ai failli y passer et c'est tout ce qu'elle trouve à dire ? Les Orbes, le Blockhaus, Nathaniel, Demyan... On en a assez sur les bras pour qu'elle n'y mette pas son grain de sel. Je n'arrive pas à me retenir de lui cracher :

- Parfait, insulte-moi, tu n'es bonne qu'à ça depuis hier ! Si tu as un problème, dis-le-moi en face !

L'odeur du macadam mouillé et de la carcasse métallique nous imprègnent, laissant un goût saumâtre entre mes lèvres. Son visage est strié d'ombres, si proche et pourtant si trouble. Ce que je peux distinguer, en revanche, est toute la haine dans sa voix lorsqu'elle réplique :

- Mon problème, c'est que tu aies ramené un gamin suspect dans notre groupe alors qu'il n'était pas dans les rues par hasard. C'est que tu aies pris la défense de Donovan en sachant qu'il est un criminel et un menteur. C'est que Simon te fasse une confiance aveugle alors que tu n'es pas fichu de te garder en vie tout seul. Mon problème, c'est toi !

Sa voix est la même que lorsqu'elle m'a ordonné de tuer Nathaniel. De tous les survivants, Sham est celle qui a le mieux retenu la leçon des Orbes, le prix infâme de la survie. Mais j'avais cru voir d'autres choses en elle : de la gentillesse, un brin de compassion. J'avais cru voir un être humain.

- Je comprends ce que tu me reproches. dis-je. En toute honnêteté, j'ai moi-même peur des responsabilités qu'on m'a mises sur le dos, mais je ne regrette rien ! Si je t'avais écoutée, Donovan et Nathaniel seraient en train de pourrir dans les Catacombes. On ne serait pas sortis aujourd'hui et Simon aurait fini par se foutre en l'air. Quant à Jack, sans Donovan, il nous aurait abandonnés. On se serait retrouvés comme deux crèves-misères à attendre de finir dans le ventre des Enfants du Minotaure. C'est ça que tu aurais voulu ?

- Qu'est-ce que ça aurait changé ? A deux, on se serait débrouillés en gâchant moins de rations de survie.

Elle est impavide. Ce ne sont pas des mots en l'air, elle serait vraiment capable de nous laisser mourir sans sourciller.

- Tu te rends compte de ce que tu dis ? je m'écrie.

- La ferme, vous deux ! nous jette Simon, depuis sa cachette. Vous voulez attirer les Orbes sur nous avec vos conneries ?

Je ronge mon frein, mais chuchote tout de même :

- Ces gens t'ont recueillie, nourrie et protégée. Ils t'ont traitée comme une des leurs alors que le reste des Parisiens se jetaient à la gorge les uns des autres. Comment peux-tu les dénigrer comme ça ?

Ses dents blanches luisent dans le noir, ma colère l'amuse. Mais elle sourit jaune, avec un dépit qu'elle ne cherche pas à cacher.

- Tu essayes de jouer au grand sauveur et à l'homme blessé, mais tout ça, c'est du vent, Manoé. Tu parles de souffrance alors que tu as passé ta vie avec les privilégiés de la Fraternité. Tu parles d'entraide alors que tu as abandonné ta mère et ton frère à la mort. Tu parles de justice alors que tu as laissé la vie sauve au bourreau de Paris. Alors épargne-moi ton numéro moralisateur. La souffrance, l'abandon, la peur... Tout ça, c'est nouveau pour toi. Moi, j'ai vu à quoi ressemblait l'enfer quand j'ai quitté l'Inde. Et si j'en ai retenu quelque chose, c'est que quelle que soit la société, quelle que soit la personne au pouvoir, il y a toujours ceux qui baisent, et celles qui se font baiser.

Orbes PourpresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant