Chapitre 20 : Tellurien

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Sham ouvre l'entrée du Quai d'Orsay et je me jette à l'intérieur, perdant l'équilibre et m'étalant sur le sol. Je ne m'en étais pas rendu compte, mais mes errances dans les souterrains m'ont laissé affamé et affaibli. L'Indienne claque la porte derrière nous et m'aide à me relever.

- Aller, un bon repas et tu seras sur pieds. dit-elle, encourageante. Mais il y a pas mal de choses dont il faut qu'on s'occupe avant.

- Tu ne crois pas si bien dire. répond une voix féminine.

Déborah allume la lumière du hall, elle est accompagnée de deux enfants. Elle porte des vêtements immaculés de collaborateurs et ses cheveux crasseux ont été lavés, peignés et coiffés en catogan. Elle a dû passer plusieurs heures sous la douche, car son visage, qui paraissait si sombre dans le repaire du Minotaure, est désormais d'une pâleur marmoréenne. Je découvre des détails de sa morphologie que je n'avais jamais remarqués : ses doigts fins, les taches de rousseur qui ponctuent ses pommettes saillantes, et même une tache de naissance violacée dans son cou.

Les deux garçons qui l'accompagnent sont eux aussi très différents de mon souvenir. L'un est noir de peau, il lui manque un œil et l'un de ses bras s'arrête au coude. L'autre est asiatique et s'appuie sur une canne pour remplacer sa jambe manquante. Tous deux sont vêtus d'habits trouvés dans le bâtiment, et tous deux sont armés. Ils n'ont pas tiré leurs pistolets, mais, si l'envie les prenait de nous attaquer, nous ne ferions pas le poids avec le fusil de Sham.

L'Indienne se redresse afin de paraître impressionnante face à nos ennemis d'hier et j'essaye d'avoir l'air plus vaillant que ces deux jours dans l'Envers ne m'ont laissé. J'ai du mal à aborder la situation, la dernière fois que j'ai vu l'adolescente et ses cannibales, j'ai tué leur chef et ils ont manqué de me dévorer.

- Bonsoir, Déborah. dit Sham. Comme convenu, je l'ai ramené. Où se trouve Jack ?

Sa voix est ferme, elle ne concède pas la moindre parcelle d'autorité à la nouvelle cheffe de groupe. J'ignore quel pacte elles ont scellé avant que l'Indienne ne vienne me chercher, mais le fait qu'elle demande immédiatement où se trouve notre compagnon en dit long sur la méfiance qui plane.

- Votre médecin est au dernier étage, je l'ai mis à contribution. Plusieurs de mes enfants sont malades ou risquent des infections à cause de plaies mal cousues.

- On peut le voir ?

- Nous monterons le trouver, ne t'inquiète pas. Mais avant ça, une petite vérification s'impose.

Le garçon asiatique tend un objet à la jeune rousse. Elle fait un pas vers nous, mais Sham attrape son fusil et le braque sur eux avant qu'elle ne s'approche.

- Quelle vérification ? Nous n'avons établi aucun accord là-dessus quand je suis partie.

- Tu ne me fais pas confiance ? demande Déborah, sans se démonter.

- Je devrais ?

La cannibale sourit. Ses dents ont été vigoureusement brossées avec du dentifrice. Elles n'ont plus l'air infectées, mais gardent une teinte jaune inquiétante.

- Après que tu sois partie, j'ai demandé à votre médecin où était le corps de Nathaniel. Quand Manoé est descendu nous voir, il a prétendu qu'il s'était transformé en Orbe Pourpre. C'est assez difficile à croire, alors j'ai préféré en avoir le cœur net.

- Vous avez profané sa tombe ? je m'exclame. Nous l'avons enterré il y a plus de trois semaines, sa dépouille doit être dans un état atroce !

- J'ai vu pire. élude-t-elle, nonchalamment. En tout cas, nous avons eu la preuve que tu ne nous avais pas menti. Au milieu de la décomposition, nous avons trouvé des câbles et un squelette de métal.

Orbes PourpresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant