Chapitre 11 : Aux Armes

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Je marche comme un automate dans la galerie, submergé par la peur et la fatigue. J'ai épuisé toutes mes ressources dans cette conversation avec Donovan, je n'ai même pas eu la force de le tuer. Je l'ai abandonné là-bas, avec mon secret éventé. Je sais qu'il me suit, qu'il rentrera, lui aussi, et je m'en fous. Maintenant qu'il sait qui je suis, il pourra le révéler aux autres, et je m'en fous. La seule chose qui m'obsède est ce nom : Bruno Longval. Le nom de mon père. Le nom d'un assassin.

Après la Semaine Rouge, ni moi ni ma mère n'avons plus prononcé le patronyme de cet homme. Il devait disparaître de notre langage, il en allait de notre survie. Bruno est le cerveau qui a donné vie aux Orbes Pourpres, il a conçu leur système de lévitation par impulsion perpétuelle et l'ordinateur Omnys qui les contrôle. Il était l'un des scientifiques les plus renommés d'Europe, aux côtés du docteur Sherman, le biologiste qui a synthétisé le Bloody Brain. Mais, alors que Sherman restait reclus pour se concentrer sur ses recherches, mon père a fréquenté les élites de la Fraternité. Il était encore étudiant en ingénierie lorsqu'il s'est rapproché de leur mouvement politique, avant d'y dédier sa vie. Ses Orbes sont devenus l'arme la plus redoutable du Patriarche. En utilisant ces machines, mon père a tué trois millions de personnes. Il a tué mon frère Hugo. Et, bientôt, il me tuera aussi.

Je ne l'ai pas toujours haï. Lorsque j'étais enfant, j'admirais cet homme au sourire amène qui travaillait d'arrache-pied et qui nous amenait à des réceptions somptueuses. Devenu adulte, Hugo s'est même engagé à ses côtés au Centre des nouvelles technologies de la tour Montparnasse. Je voulais faire la même chose jusqu'à ce que, adolescent, je prenne conscience des dérives de la Fraternité Eurasiatique. C'est Hugo qui, en me parlant de son travail, m'a fait comprendre le sentier en pente raide sur lequel nous nous engagions. Il était devenu aigri et soupçonneux, mais mon père, lui, n'a jamais douté.

Ereintée par la charge de travail, sa santé s'était dégradée pendant les années précédant la Semaine Rouge. Il aurait pu abandonner, c'est ce que toute la famille souhaitait, mais il persévérait, comme s'il poursuivait un but plus lointain encore que l'Unité Humaine. Le jour où les Orbes ont attaqué, il a prévenu ma mère qu'il fallait fuir la ville au plus vite, mais son avertissement est arrivé trop tard. Hugo en a payé le prix, et je doute que mon père s'en soit sorti non plus. Il était à la tour Montparnasse et a sans doute été abattu lorsque Murdoch a envahi le bâtiment. A présent, il n'est qu'une victime supplémentaire de la Fraternité. Pourtant, je porte le poids de cette filiation. Je suis le fils de l'homme qui a décimé Paris.

Arrivé au Quai d'Orsay, je monte l'échelle de la bouche d'égout et rentre dans le bâtiment en évitant un Orbe. J'ai envie de plonger au fond de mon lit pour ne plus jamais en sortir, mais il y a peu de chances qu'on me laisse faire. Donovan va probablement révéler mon identité aux autres, ce qui me fera devenir, comme lui, un paria au sein du groupe. Lorsqu'il l'apprendra, Simon choisira-t-il de me tuer aussi ? Sham l'aidera-t-elle ? Qu'arrivera-t-il à Nathaniel ? Je me masse le front, penser à toutes ces éventualités me donne la migraine. J'aurais mieux fait d'abattre le vieux militaire, cela m'aurait permis de garder mon secret intact. J'aurais justifié mon geste en racontant ce qu'il m'a dit : son génocide aux Philippines, sa parenté avec Oskar Murdoch... Tout serait rentré dans l'ordre. Je serais devenu un héros, l'homme qui a tué le Nouveau Maréchal. Oui, l'exécuter aurait réglé tous mes problèmes. Alors pourquoi ne l'ai-je pas fait ?

 Alors pourquoi ne l'ai-je pas fait ?

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