J'attrape mon fusil et le braque sur l'intrus avant de me tourner vers Donovan. L'homme au masque est-il l'ami dont il parlait ? Visiblement non : le général est aussi étonné que moi et il a tiré son couteau de sa ceinture.
- Qui êtes-vous ? s'exclame-t-il. Que faites-vous ici ?
- Qui je suis ? répond l'Homme Gris, du même ton taquin que la dernière fois. On me pose toujours cette question. C'est pourtant illogique, le but même de porter un masque est de ne pas être reconnu.
- Alors retirez-le, que je voie votre visage !
- Si vous me l'ôtez, vous ne trouverez que du vide. Dans la vie, les gens portent toutes sortes de masques. Ils en changent selon l'âge, les situations et leur entourage. On passe son existence à se voiler la face. Mais, comme disait Oscar Wilde : « L'homme est moins lui-même lorsqu'il parle en son nom, donnez-lui un masque et il vous dira la vérité. » Voilà pourquoi il ne sert à rien de me démasquer, vous contemplez déjà mon vrai visage.
Le militaire marque une pause, que j'utilise pour me relever et dire :
- C'est lui le cinglé dont je t'avais parlé, celui qui se balade dans les souterrains en écrivant des messages sur les murs. On en avait vu un en allant au Champ-de-Mars.
- Oui, je m'en souviens. répond-il, tout bas. Mais cet homme n'a pas l'air d'un simple survivant qui aurait perdu la raison.
Il ajoute, plus haut :
- Gardez votre masque si ça vous chante, mais dites-moi ce que vous faites ici !
- Rien de bien fascinant, je venais simplement chercher Gregor.
- Gregor ? dis-je, en regardant autour de nous à la recherche d'un autre visiteur inopportun. Où est-il ?
- Oh, mais juste ici.
Sur ces mots, l'Homme Gris ouvre sa main gantée. Une énorme blatte est allongée au creux de sa paume. L'insecte se réveille et marche paresseusement le long du bras du fou, avant de se poster sur son épaule, agitant ses antennes avec excitation.
- C'est lui, Gregor ? dis-je. Un cafard ?
- Ne soyez pas insultant Manoé, Gregor aurait pu être bien plus qu'un simple cancrelat. Il a simplement changé, comme le reste de cette ville. Il est normal de subir quelques métamorphoses par les temps qui courent.
Je pointe mon fusil vers son masque à gaz, j'avais oublié à quel point ses inepties m'énervaient.
- Vous êtes venu chercher un cafard ici, dans une cachette au beau milieu des Catacombes ? demande Donovan.
- Pas seulement, répond-il, en faisant sauter un fusain dans sa main gauche, j'ai aussi laissé un petit message. C'est une de mes mauvaises habitudes.
Le général avance d'un pas et sa prise sur le manche de son couteau se resserre. Si l'Homme Gris continue son manège, je ne donne pas cher de sa peau.
- Comment êtes-vous entré ici ? Il n'y a qu'une seule entrée et c'est la plaque de pierre que je viens de déplacer.
- Si Gregor a su se frayer un chemin jusqu'ici, pourquoi pas moi ?
- Cet endroit a été tenu secret pendant des années, personne ne devrait être au courant de son existence ! Personne à part moi et...
- ...Joseph Mercier. termine l'Homme Gris.
- Comment pouvez-vous savoir ça ? murmure le vieil homme, estomaqué.
- Oh, j'ai bien connu Joseph, ou plutôt Nathan Hechter, si l'on veut utiliser son vrai nom. J'épiais ses rencontres secrètes dans les souterrains, les discours galvanisants qu'il faisait à ses fidèles et les coups d'éclats qu'il préparait à la surface. Un personnage fascinant, profondément épris d'Histoire et d'une bravoure presque chevaleresque. Je sais combien il vous manque. Cette réserve était votre lieu de rencontre, n'est-ce pas Demyan ?
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Orbes Pourpres
Science FictionParis, 2060. L'Europe est tombée sous le joug de la Fraternité eurasiatique, super-Etat dont la doctrine d' "Unité humaine" consiste à faire disparaître l'Histoire et la culture pour unifier les peuples. Depuis deux ans, les Orbes Pourpres, des dron...