Chapitre 3

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Jeudi

15h25

PDV : Isaac

Enfin sorti de cet enfer.

J'aimerais bien retrouver celui qui a inventé les maths.

Pour lui mettre une baffe.

On sait jamais, peut être que ça va lui remettre les idées en place. Ou bien, dès que la machine à remonter le temps est inventée, je monte un commando, on le retrouve à son époque avant qu'il n'invente cette infamie, on le prend au piège et on le tue.

Ensuite on repart comme si de rien était et on en parle plus.

Oui, ça me semble pas mal, comme plan.

Ah. Non, en fait, ça ne va pas. Pour monter un commando, il faut parler à des gens. J'aime pas les gens. Donc c'est pas possible. Mince. Je dois trouver une autre solution... encore. J'y arriverai jamais, c'est pas possible :,)

Il est 15h28. J'arrive au bâtiment D. Mes deux dernières heures de cours seront consacrées au projet de CAV. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression de ne pas être à égalité avec les autres. Mais je ne dirais rien aux profs. Ça va encore me retomber dessus. Parce que je ne parle jamais. Je le sais, on me le dit bien trop souvent. C'est toujours de ma faute, de toute façon. On me dit que je ne fais pas d'efforts, mais ils ne savent pas.

Il est 15h30 maintenant, la sonnerie retentit bruyamment. Ils devraient penser à la changer, pour quelque chose de plus... non, de moins agressif pour les oreilles. J'arrive devant la salle, les secondes sont presque tous là, enfin, je pense. Je ne les ai vus qu'une fois et je ne suis pas allé les compter un par un.
Ma classe est déjà au complet. Je me mets en retrait, contre le mur. J'aime bien rester là.

Comme je m'ennuie en attendant que les profs arrivent, je regarde autour. Dans le coin créé par un pilier se trouve le garçon avec qui je travaille. Il est sur son téléphone, et il tape rapidement sur son clavier. Il discute par SMS, je suppose. Je me maudis moi-même : j'ai oublié son prénom entre la séance de mardi et aujourd'hui. Je vais être obligé de lui demander une nouvelle fois.

J'aime pas les gens.

C'est ma prof qui arrive la première. Elle nous salue, puis se met dans la même position que nous : elle attend le prof des secondes. Je ne comprends pas ; il est en retard, c'est de sa faute, alors pourquoi elle ne nous fait pas rentrer ?

- Désolée, je n'ai pas les clés de la salle, dit Mme Carrillo, comme si elle avait lu dans mes pensées. C'est Mr Carney qui les a. Je ne peux pas vous ouvrir.

Bon. On reste là alors. En espérant qu'il ne prenne pas trop de temps, il fait froid dans ce couloir.

Finalement, il arrive, les clés en main, l'air désolé. Il s'excuse et ouvre la salle, puis nous dit de nous mettre directement avec nos binômes. Je tourne les yeux vers le blond qui me remarque tout juste. Il range son téléphone et se lève puis me fixe en silence. Le passage se dégage, on suit le mouvement et on entre dans la salle.

On s'installe au fond à droite ; il n'y a plus beaucoup de choix. Mais ça ne me dérange pas, je me mets souvent dans cette zone là des salles de cours. Dans le coin, tout au fond. En général, c'est la place où le prof te laisse tranquille. Alors je me sers de cet atout. Et ça marche.

Je m'installe près du mur, laissant le côté passage au blond. C'est stratégique : si je me mets là, on me laissera tranquille à coup sûr. Je sors rapidement mes affaires : deux carnets, un stylo, un crayon, une gomme. C'est tout ce dont j'ai besoin. Je place le second carnet sur un coin de la table. Je dessinerai dedans si j'ai l'occasion.

Ma prof fait l'appel. Je n'y prête pas attention, j'attends que ça passe, comme d'habitude. Je lève simplement la main en entendant mon nom.

Ils font ensuite un rapide rappel des contraintes du projet, puis ils nous lancent dessus. Le niveau sonore monte un peu, mais reste supportable aux yeux des profs. Moi, je déteste travailler dans le bruit des salles de cours. Et en plus, on sort de maths. Tout pour me déplaire.

PDV : Mayron

Isaac pousse un long soupir, puis pose sa tête sur sa main en regardant la page vierge de son cahier. Il a l'air à la fois énervé et exténué.

Je ne sais pas trop quoi faire, alors je le fixe simplement. C'est un peu flippant quand on y pense. Je n'ose pas lui parler, alors je le fixe. C'est comme ça avec tout le monde. Je me souviens, au début de notre relation, Nahel me disait souvent que ça faisait peur, quand je le fixais comme ça. Alors j'arrête, et je regarde mon cahier aussi. Je cherche une idée.

- Uhm.. désolé, j'ai oublié.. c'est quoi ton nom déjà ?

Je sursaute en entendant sa voix. Je tourne la tête et le regarde pendant une fraction de seconde, avant de lui répondre. Il hoche doucement la tête et regarde ailleurs, comme s'il se récitait mon prénom intérieurement pour ne pas l'oublier à nouveau.
Quand il a fini, il regarde de nouveau les pages de son cahier, avant de reporter son attention sur moi.

- Du coup.. entre-temps, tu as eu des idées ?

Mon signe de tête lui indique que non.

- Bon... on devrait peut-être réfléchir à la forme, alors... je sais pas.. on fait quoi ? Un film ? Du dessin animé ? ... un diaporama ?

- Un.. un diaporama ? Pour faire quoi ?

- .. Bah... par exemple.. si on fait comme une biographie, avec un diaporama.. on peut montrer pas mal de choses.. il suffit de le passer en automatique.

- Après.. je sais pas si ça colle avec le sujet.. alors.. un film ou... un dessin animé ? Tu veux dire.. avec du stop motion ?

- Oui, voilà.. un peu de montage, et c'est bon. Après.. ça prend du temps. Je te l'accorde.

Quand il parle, sa voix est toujours très monotone.
Et les options qu'il propose sont plutôt pertinentes, mais... je suis un terrible acteur.. et je ne sais pas dessiner. Il n'y a qu'en montage que ça pourrait aller. Nahel en fait parfois, quand il veut améliorer une vidéo ou y mettre de la musique. Et puis, on a vu les bases en cours.

Ah mais, je suis idiot. Isaac est en première. Le montage, ça lui connaît sans doute beaucoup plus.

- Euh.. pour le film, ça risque d'être compliqué... je joue extrêmement mal, le théâtre, c'est pas vraiment mon truc.

- En même temps, si tu préférais le théâtre... tu aurais pris cette option plutôt que l'audiovisuel, non..?

- Je sais pas.. on ne pourra jamais savoir, de toute façon. Du coup.. on prend le dessin animé..?

- ... C'est la dernière option qui me vient à l'esprit.. alors je suppose.

- Bon.. on a la forme, c'est déjà bien.

- Oui.. Maintenant, faudrait penser.. à un scénario, je sais pas...

- Tu as une idée en tête ?

- ...

Il s'arrête de parler. Déjà qu'il fait des pauses dans ses phrases.. il a l'air de réfléchir.

- Non.. l'écriture, c'est pas vraiment mon truc.. j'ai jamais d'idées.

PDV : Isaac

Je n'ai jamais d'idées, c'est vrai. Ce n'est pas que je n'ai rien à exprimer, non. Je n'ai rien pour exprimer les choses. Elles restent en moi. Ça a toujours fonctionné comme ça.

J'aime pas les gens.

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