Chapitre 8

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Mardi

7h15

PDV : Isaac

Ce matin, je suis fatigué, et j'ai des courbatures. Je crois que les jambes m'en veulent de la petite escapade d'hier soir, qui leur a forcé un effort supplémentaire.

Je déambule dans mon appartement, attrapant par-ci par-là les affaires dont je vais avoir besoin - téléphone, portefeuille, carte de bus, clés. Je range tout ça dans une sacoche, que je pose sur le petit meuble de l'entrée. En-dessous de celui-ci, je récupère mes chaussures. Au-dessus, c'est ma veste que je décroche de son porte-manteau. Je reprends ma sacoche, la passe par-dessus ma tête, et pose ma main sur la poignée de la porte d'entrée. Je me retourne brièvement.

- À ce soir. je lance, quasiment dans le vide.

J'entends ma mère me répondre, rapidement, d'une voix lointaine. Elle finit de se préparer dans la salle de bain. C'est toujours comme ça le matin. Mon père n'est pas là, il travaille de nuit. Je ne le vois que le soir, et encore, quand je finis assez tôt et que le bus n'a pas de retard.

De toute façon, ça ne change pas grand chose. Les interactions que j'ai avec mes parents sont cordiales. Basées sur de la simple politesse. À eux non plus, je ne leur parle pas vraiment. Quoi que je dise, ils trouvent toujours un moyen de me rembarrer. De me contredire. Quand je me plaignais, avant, c'était comme s'ils ne m'entendaient pas. Alors, je ne me plains plus.

Je me tais.

En conséquence, notre relation s'est... "dégradée" ? Je ne pense pas que ce soit le bon mot, mais je ne trouve pas d'équivalent à ma pensée. Disons que, d'un point de vue social, nous sommes retombés au statut de "passants qui se croisent". C'est comme ça que je désigne cette relation. La vie de famille s'est changée en simple formule de politesse de gens qui se croisent dans la rue.

On a parfois des conversations, mais je ne m'exprime pas vraiment. Enfin, si. Mais par "m'exprimer", j'entends "donner mon point de vue". Je ne le leur donne pas. J'écoute. Je réponds. Simplement. Comme un robot. Il n'y a pas d'échange constructif, à la table du repas. Ou, du moins, s'il y en a un, c'est que je n'interviens pas dedans. Je reste là, spectateur. Et ça me va très bien.

7h25

J'ai de la chance. Le bus n'est pas encore passé. Je suis un peu à la bourre, aujourd'hui. Mes jambes refusent décidément de me laisser en paix. La descente des escaliers et le chemin jusqu'à l'arrêt de bus ont été laborieux. Épuisants. Et, surtout : douloureux.

Par chance, le banc est vide, ce qui est rare. Je m'y installe, et, d'un geste machinal, par habitude, je porte les mains à mon cou, pour relever mon casque sur mes oreilles.

Et merde.

Mes mains ne rencontrent que de l'air, avant d'effleurer ma peau. Je les repose sur mes genoux, regardant par terre. Je pousse un soupir, dépité.

J'ai oublié mon casque chez moi. Et il est trop tard pour aller le chercher.

Le désespoir s'installe en moi, et je n'exagère même pas. Je me retrouve à devoir entendre les conversations de tous ces gens trop bruyants qui n'ont pas compris qu'ils n'étaient pas seuls sur ce petit bout de trottoir.

Quelques gouttes se mettent à tomber. Gouttes qui se changent rapidement en trombes d'eau.
Par chance, contrairement aux autres, moi, j'ai un parapluie. Et le toit d'un abri bus. Mais quel chanceux je suis.

Ce que je redoutais arrive cependant : cris strident, ruée sous l'abri bus, tous serrés, et des gens dehors. Quelqu'un se plaque contre moi avec violence. Je me lève, me fraye un passage et me retrouve sous la pluie battante. Je sors mon parapluie et l'ouvre, en restant à distance du troupeau. C'est que je tiens à ma vie.

Je soupire. Ce serait bien mieux avec un peu de musique... mais COMMENT j'ai pu oublier le matériel de survie le plus important ??

Quelqu'un arrive en courant, sans doute cette personne a-t-elle cru, comme moi, avoir loupé le bus. Il ou elle ralentit, se rendant compte du troupeau, et s'arrête à quelques mètres de moi. Je me tourne un peu, et j'arrive à discerner son visage. C'est Mayron. Le pauvre est complètement trempé. Je fais quelques pas dans sa direction. Il le remarque, lève les yeux vers moi. Son temps de réaction écoulé, il me salue. Je le salue en retour.

- T'as de la chance. me dit-il. Y a qu'un seul parapluie chez mon père, vu que je suis presque jamais chez lui. Et du coup, c'est toujours lui qui l'a.

Le voir trempé comme ça alors que j'ai un parapluie a le don de susciter la peine, alors je l'avance un peu vers lui, histoire de lui montrer qu'il peut se rapprocher pour se mettre en dessous, lui aussi.

Il hésite un peu, puis finalement se cale sous le parapluie.

Nos épaules s'effleurent, et on attend, comme ça, sous les trombes d'eau. On finit par discuter un peu, à coup de "t'as fait quoi toi hier soir". Le bus finit par arriver, et on arrive à monter dans les premiers, parce que le troupeau est tellement serré que les gens ont du mal à s'en extirper pour monter. On prend une place à deux, comme la veille, mais naturellement cette fois. Pour continuer à discuter. C'est sympa, en fait. Je ne parle pas énormément non plus, mais c'est quand même bien. Avec lui, je m'exprime. Pour de vrai.

Je ne suis pas que spectateur.

Je suis acteur.

Comme dans un film.

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