CHAPITRE 4

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〝 𝙺𝙽𝙾𝚇 𝚁𝙾𝙶𝙴𝚁𝚂 〞

INCONNU

Les opérations ont lieu une fois par semaine et nous nous tenons à ce rythme. Toutes les interventions chirurgicales se déroulent le vendredi, entre vingt-et-une heure et trois heures du matin, et aucun de nous n'a l'autorisation de s'absenter.

Dans la pénombre, plusieurs ombres se dessinent avant qu'un flash ne vienne m'éblouir. Les infirmiers – ou du moins ceux que nous appelons ainsi – viennent d'entrer dans ce qui nous sert de bloc. Il s s'affairent déjà à préparer tout le matériel.

Scalpels, pinces à agrafes, fils de suture, colle tissulaire, tout est placé au millimètre près.

Moi, je suis le chirurgien.

On m'appelle comme ça depuis le début.

La première fois que j'ai passé les portes de l'Underground, j'étais un peu déboussolé. Tout mon sang s'était glacé. Les nerfs de mes paupières sautillaient et j'ai fini par dégueuler mes tripes après ma première opération, à l'abri des regards.

Enfin, je pensais être seul...

Mais un homme avait remarqué ma défaillance.

Lui, le boucher.

Il m'a observé sans rien dire, un court moment, comme s'il cherchait à voir au-delà de mon malaise. Au bout de quelques secondes, ses traits se sont adoucis. Il venait de comprendre qu'il n'avait aucune raison de se méfier de moi. 

Tout cet environnement était juste nouveau. 

Enfin, en quelque sorte... J'avais quelques années de médecine derrière moi, n'empêche que je n'avais jamais été trop confronté à la réalité du terrain. Et tout ce que je savais, je l'avais appris dans les livres.

Un signal sonore retentit, résonnant dans toute la salle. Un brancard s'avance dans ma direction, poussé par un infirmier. Le grincement des roues me fait lever le menton.

Le corps de la personne allongée est relié par tout un tas de machines dont un cardioscope qui émet un bip régulier. Un infirmier laisse s'écouler quelques secondes avant d'attraper le dossier médical de la personne que je m'apprête à charcuter. Un autre est devant l'ordinateur, prêt à faire danser ses doigts sur le clavier. La vérité est qu'ils attendent surtout mon aval pour commencer les démarches que nous devons réaliser avant chaque opération.

— Sexe ? je demande calmement en attrapant un scalpel.

— Homme.

— Nom ?

— Rogers.

Mon cœur bondit dans ma poitrine.

— Prénom ?

— Knox.

Sa réponse suscite tout un tas d'interrogations dans ma tête. Un mélange de colère et de confusion me tord le ventre. Je pars à l'assaut de mes réponses, retirant la housse chirurgicale bleue qui recouvre le visage du patient.

Après la première intervention que j'avais réalisée, il avait fait en sorte de cacher la tête de chaque personne que j'opérais. Il ne me l'avait pas clairement dit, mais en agissant ainsi, il espérait que je me détache un peu de toute cette merde. Il voulait que je prenne un peu de recul sur le boulot que j'effectuais pour l'Underground.

Mais c'est impossible.

On ne prend jamais de recul lorsqu'on détient illégalement des organes dans nos mains chaque semaine.

— Qu'est-ce qu'il fout ici ? je demande en me tournant vers le premier infirmier.

Aucune réponse de celui-ci. Quant à l'autre, il pianote sur son clavier d'ordinateur, ignorant tous les autres bruits parasites, dont ma voix.

— Je vous ai posé une question !

J'ignore lequel, mais un des deux soupire. J'ouvre la bouche pour répliquer, mais une voix m'en empêche.

La sienne.

— C'est moi qui l'ai amené ici, il annonce en enfilant une blouse.

Sa présence est surprenante. Il ne participe jamais aux opérations. Il se charge de trouver des mecs à opérer et d'encaisser le pognon. C'est tout. Alors le voir ici feint l'illusion.

Brusquement, j'arrache le dossier des mains de l'infirmier et le claque sur un chariot en aluminium.

— En quel honneur ?

Il ne me regarde pas, se contentant de m'offrir un simple grognement.

— Rappelle-moi ton travail ?

Sa façon de détourner les questions m'exaspère.

Il rôde autour de moi, comme un prédateur affamé, tout en enfilant un masque. Quant à moi, je me tiens droit, les mains sur les hanches, impassible. Contrairement à lui, je montre moins d'enthousiasme à m'occuper de Knox. En temps normal, nous n'opérons que des violeurs, des tueurs, parfois même des voleurs.

Nous prenons des organes de pourritures pour les donner à de bonnes personnes. C'est notre business et nous n'avons jamais dérogé à cette règle.

Du moins, jusqu'à présent.

Parce que Knox Rogers n'entre dans aucune de ces catégories.

Visiblement mécontent de ne pas obtenir de réponse, il donne un violent coup de pied dans le chariot où se trouve tout le matériel.

— JE T'AI DEMANDÉ QUEL ÉTAIT TON PUTAIN DE TRAVAIL ?

Toute lutte est vaine.

— Réponds-moi, putain, il ordonne méchamment.

— Chirurgien, je rétorque les dents serrés.

Son ricanement enterré dans son gosier broie le calme environnant de la pièce.

— C'est bien ce que je me disais. Alors tu fermes ta gueule et tu l'ouvres ! Parce que si c'est moi qui le fait, ça risque de ne pas être très joli à voir !

Il envoie valser le scalpel auprès d'un des infirmiers, avec son pied. Il claque des doigts et accompagne son geste d'un nouvel ordre :

— Toi ! Donne-lui du nouveau matériel ! Du putain de matériel stérilisé ! Hors de question que Knox nous clamse entre les mains après l'opération.

Il s'abaisse pour ramasser le dossier et reprend la lecture. Comme tout le reste de son corps, ses iris brûlent, trépignant d'impatience. Son obsession de vengeance consume sa raison.

— Monsieur Knox Rogers, âgé de vingt-cinq ans. Aucun problème de santé à souligner, il n'a pas d'allergie ou d'antécédent médical grave. Cela dit, il a déjà subi une intervention chirurgicale à ses treize ans pour se faire retirer les dents de sagesse blablabla... À toi de jouer !

Ne pouvant concilier mes principes et les siens, je me mords l'intérieur des joues une seconde avant de lui poser la dernière question.

La plus importante de toutes.

— Qu'est-ce qu'on opère ?

Un sourire faux se dessine sur son visage. Il jette le dossier à ses pieds, enjoué, puis tape dans ses mains.

— On lui retire un rein, il s'exclame.

— Écoute...

— Je suis ici pour opérer un homme ! Ne m'oblige pas à en opérer un deuxième ! Parce que je jure que si tu n'as pas de scalpel dans ta main d'ici trente secondes, tu seras le prochain à passer sur le billard. Est-ce que je me suis bien fait comprendre ?

J'inspire et expire aussi fort que possible. J'attrape le bistouri, acceptant le sort de Knox. C'est couru d'avance pour lui.

Après avoir jeté un dernier coup d'œil sur cet homme endormi, je suis du regard la découpe que mes doigts sont sur le point de réaliser. Puis, j'enfonce la lame en acier dans sa chair.

La bonne nouvelle pour lui, c'est que ce n'est qu'un rein que je m'apprête à lui retirer...

UNDERDOGOù les histoires vivent. Découvrez maintenant