CHAPITRE 22

5.2K 240 93
                                    

〝 𝚄𝙽 𝚂𝙸𝙼𝙿𝙻𝙴 𝙸𝙽𝙲𝙾𝙽𝙽𝚄 〞

TOM

Chose rare, mais le service de cardiologie est plutôt calme depuis ce matin.

Durant les semaines qui ont suivi ma rencontre avec Lola, beaucoup de choses ont changé et, malheureusement, pas pour le mieux.

Deux employés ont démissionné, nous laissant en sous-effectif. Ce changement nous a imposé une charge de travail supplémentaire, et je dois bien admettre qu'on a du mal à garder la tête hors de l'eau depuis. On enchaîne les gardes à répétition, et parvenons à peine à trouver le temps pour rentrer chez nous. Nos seuls moments de repos se limitent aux siestes que nous prenons dans les vestiaires ou aux repas que nous partageons, entre collègues, au restaurant de l'hôpital.

La fatigue n'a jamais autant alourdi nos paupières.

Et comme si toute cette réorganisation n'était pas épuisante, au milieu de tout ce chaos, il y a elle.

L'état de ma patiente s'est dégradé au point qu'on a dû lui installer un pacemaker hier. Ses constantes vitales ont dégringolé, on ne pouvait plus attendre. Son cœur a finalement repris un rythme régulier. C'est un peu rassurant, mais on sait tous que ce n'est qu'une victoire temporaire...

Si ce n'est une minuscule grimace qui souligne la tension de ses traits lorsque je désinfecte l'entaille fraîchement recousue, on pourrait croire que Lola ne ressent rien. En tout cas, elle est silencieuse lorsque je termine de panser proprement le haut de sa poitrine.

L'incision est à peine cicatrisée, et forme une toute petite ligne rouge qui contraste avec la pâleur de sa peau. Les lèvres serrées, elle se contente de fixer un point dans le vide.

— Tu vas probablement ressentir une gêne les premiers jours. Il est préférable que tu évites tout mouvement brusque de l'épaule. Ne la raidis pas non plus, ça risquerait de créer une ankylose. Est-ce que tu as des questions ?

— Oui. Pourquoi ce n'est pas un infirmier qui change mon pansement ?

J'arbore un sourire malicieux, mais mon égo en prend un coup.

— Parce qu'on est en sous-effectif, je réponds simplement. Et je ne pensais pas dire ça, mais en fin de compte, ça a ses avantages. Autre chose ?

— Oui, est-ce que je vais pouvoir rentrer chez moi maintenant ?

— Tu es déjà pressée de me quitter ?

Je réussis à attirer son attention avec cette plaisanterie, car elle ancre enfin son regard au mien.

— Tu ne réponds pas à ma question, souffle-t-elle.

— Peut-être parce que tu as le don de poser des questions qui en appellent d'autres ?

Elle se redresse un peu, tout en faisant rouler nerveusement un élastique noir entre son pouce et son index. Puis, elle pose cette même main sous sa cage thoracique.

C'est toujours délicat de discuter avec des patients. Certains masquent leur tristesse derrière l'humour, tandis que d'autres tombent dans la déprime. Avec autant d'années d'études derrière moi, j'ai pigé qu'il fallait savoir choisir avec soin nos mots lorsqu'on parle aux souffrants.

Une fois, le Docteur Simon m'a confié que c'était l'aspect le plus éprouvant de notre métier. Maintenant que je suis devant Lola, je comprends mieux ce point de vue.

C'est compliqué de se retrouver face à la femme qui me plaît profondément, face à cette même femme à qui je ne peux pas proposer le moindre rencard, car je suis celui qui la retient à l'hôpital.

UNDERDOGOù les histoires vivent. Découvrez maintenant