1. Le renard qui n'en était pas un

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La première fois que j'ai rencontré Lumi, j'avais sept ans.

Je venais d'échapper à la surveillance de ma gouvernante et m'étais enfoncé dans la forêt qui bordait la villa de vacances de mes parents. Heureux et insouciant comme peut l'être un gamin de cet âge-là, je trottinais gaiement le long des chênes imposants et me fichais de salir les souliers vernis que ma mère m'avait offert quelques jours auparavant.

Je l'aperçus au détour d'un sentier et me figeai instantanément. A vrai dire, je le confondis d'abord avec un renard. Ses cheveux immaculés juraient au milieu des couleurs rougeoyantes de l'automne et je n'étais pas encore assez érudit pour savoir qu'un renard polaire n'aurait rien à foutre dans un environnement pareil. Je l'avais alors observé de longues minutes, tapi derrière un buisson, fasciné par la blancheur éclatante de son supposé pelage.

Je compris que c'était un garçon lorsque son corps se hissa sur un rocher et que son visage se tourna vers moi. Au moment où ses yeux indigos rencontrèrent les miens, ma respiration se coupa et je sentis tous les poils de mon corps se hérisser. Il n'eut pas besoin de le dire que je devinai qu'il savait que j'étais là depuis le début, et ce constat me blessa dans mon orgueil naissant.

Honteux, je songeai à partir et faisais déjà volte-face lorsque sa voix m'interpella.

— Eh, tu viens m'aider à attraper des poissons ?

J'aurais dû être outré qu'un gamin inconnu m'apostrophe aussi grossièrement. Pourtant, je fus intrigué par ses mots et m'approchai doucement de lui. Plus j'avançais, plus les traits de son visage se dévoilaient à moi. Sa peau était hâlée comme celle de ceux qui vivent au grand air et ne se protègent pas du soleil, son nez retroussé était agrémenté de quelques tâches de rousseur et la ligne de sa mâchoire avait déjà quelque chose de fier, d'arrogant.

Lorsque je ne fus plus qu'à une dizaine de pas de lui, je me rendis compte qu'il était pieds nus, avait retroussé son pantalon sur ses mollets et que son t-shirt délavé était troué. Il ne m'en fallut pas plus pour comprendre qu'il venait de ce foyer pour enfants dont mes parents s'étaient farouchement opposés à la construction par peur que de petits délinquants ne viennent gâcher leurs vacances. Son apparence aurait fait blanchir d'effroi ma mère et sûrement cela joua-t-il sur le fait que je décidai très vite que je m'en ferais un ami.

L'inconnu m'adressa un grand sourire et je remarquai que ses dents de devant se chevauchaient légèrement.

— Enlève tes chaussures. T'es pas habillé pour attraper des poissons !

C'était le moins que l'on puisse dire. Il était clair qu'avec mon petit cardigan en cachemire et mon pantalon en denim, j'étais plus vêtu pour aller à un gala que pour patauger dans une rivière. Pourtant, je me contentai de retirer mes souliers vernis, de remonter mon pantalon le plus haut possible puis de le rejoindre dans l'eau glacée dans laquelle il évoluait comme s'il ne sentait pas la terrible morsure du froid.

Il avait confectionné un espèce de harpon avec des branches et des lianes, qu'il maniait avec une dextérité qui me laissait pantois. Pendant trois heures, nous remontâmes la rivière et jouâmes aux aventuriers qui devaient absolument trouver à manger avant la nuit tombée.

Nous n'attrapâmes évidemment aucun poisson, mais un autre événement faillit nous être fatal. Innocents comme nous étions, nous courions dans le lit de la rivière sans nous soucier de la centrale hydro-électrique située en amont et des panneaux « danger » plantés un peu partout sur les rives.

A la fin de l'après-midi, un lâcher d'eau eut lieu à la centrale et le niveau de la rivière augmenta d'un coup. Nous ne comprîmes pas de suite ce qui se passait et observâmes avec des yeux horrifiés l'énorme vague qui se précipitait vers nous.

Mon nouvel ami m'attrapa brusquement par la main et me tira sur un petit promontoire rocheux, mais la hauteur ne fut pas suffisante pour éviter que nous ne soyons balayés comme des grains de poussière.

Je me rappelle encore de la violence avec laquelle l'eau me projeta hors du rocher. Mon corps s'effondra dans la rivière et fut ballotté dans tous les sens sans que je parvienne à remonter mon visage à la surface. Je sentais mes membres racler contre les cailloux et ma gorge se déployer pour hurler des mots insonores.

Au bout d'une ou deux minutes – qui me parurent être des heures – je réussis à m'accrocher à une branche qui dépassait miraculeusement au-dessus du lit de la rivière et m'y agrippai de toutes mes forces. Par celle du désespoir, je réussis à me hisser sur la rive où je m'écroulai, toussant et crachant comme un forcené.

Tremblant de froid et de peur, je me relevai tant bien que mal et balayai de mes yeux effarés le paysage environnant à la recherche de la chevelure immaculée.

— Renard ! Renard ! me mis-je à crier désespérément.

Mes jambes instables s'avancèrent de quelques pas puis flanchèrent et me firent tomber au milieu d'un tapis de mousse. Mon cœur tambourinait si fort dans ma poitrine que je craignais qu'il n'en sorte.

— Renard ! Renard !

Aucun autre son que celui de la rivière déchaînée ne me parvint. Alors que mes yeux commençaient à se remplir de larmes, j'entendis un léger craquement derrière moi et la voix tant attendue résonna.

— Ne crie pas si fort, tu vas faire peur aux animaux !

Je me retournai d'un bond et mes yeux se noyèrent dans deux orbes plus foncés qu'une mer mouvementée. Sans réfléchir à ce que je faisais, je me jetai en avant et encadrai son visage de mes mains, comme pour m'assurer qu'il était bien en vie. Une large griffure barrait son front et quelques gouttes de sang glissaient vers ses sourcils, mais il semblait ne même pas l'avoir remarqué.

A la place, il m'adressa un immense sourire et mon attention s'attarda une nouvelle fois sur le léger chevauchement de ses dents de devant. Il leva ses mains à hauteur de mes yeux puis plissa les siens de contentement.

— Regarde, on en aura eu un finalement !

Hagard, j'observai pendant de longues secondes le poisson qu'il me tendait puis finis par exploser de rire. Il me suivit et nous roulâmes dans la mousse, trop hilares pour maintenir une position correcte. Lorsqu'enfin nous nous calmâmes, nous restâmes allongés sur le dos longtemps, le souffle court, le corps vidé de toute énergie.

Ce furent les cris de ma gouvernante mêlés à ceux de mon père qui brisèrent notre petite bulle. Sans un mot, mon nouvel ami se releva et se faufila à travers l'entremêlement que formaient les troncs d'arbres de la forêt. Juste avant qu'il ne disparaisse, il se retourna et m'adressa un clin d'œil, dernier vestige de cette après-midi qui avait bien failli être notre dernière.

Ce fut le premier secret que je partageai avec Lumi.



NDA : Bienvenue sur cette nouvelle histoire !

Quelques petites précisions avant de commencer : il s'agit d'un omegaverse et d'une histoire entre deux hommes. Il y aura quelques scènes matures donc vous êtes prévenus.

L'histoire sera très courte (entre 10 et 15 chapitres) ; j'avais juste envie de décompresser un peu et écrire ce genre de récit me fait beaucoup de bien.

J'espère que ça vous plaira, n'hésitez pas à voter et à donner votre avis, ça fait toujours super plaisir :)

A l'ombre de ton sourireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant