12. Bas les masques !

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Les semaines suivantes se résumèrent à l'organisation de la cérémonie d'union.

Choisir un partenaire ne requérait pas forcément un événement en grandes pompes, mais Alma y tenait et moi, je n'en avais plus rien à foutre.

J'aurais dû être pressé, emballé, exalté, mais je n'arrivais plus à m'impliquer dans quoi que ce soit. Alma tourbillonnait autour de moi et ne cessait de me poser mille questions sur la couleur que je préférais pour les nappes, sur le nœud de cravate que je souhaitais porter et sur la façon dont je disposerais les tables pour ne vexer personne. Elle m'épuisait. Ses cheveux roux ne cessaient de voltiger d'un bout à l'autre de l'appartement et ses bras s'agitaient tellement que je n'aurais pas été surpris qu'on l'embauche comme moulin à vent. Mais le pire dans tout ça, c'est que je savais que j'aurais dû être au moins autant excité qu'elle.

Certes nous ne nous mariions pas - bien qu'elle fasse tout pour qu'on en ait l'impression -, mais j'aurais dû trépigner d'impatience autant qu'elle. Nous allions enfin nous unir, j'allais la marquer devant nos familles réunies et nous pourrions enfin commencer notre vie à deux en tant que partenaires liés ; nous en rêvions depuis des mois !

Et pourtant, la seule chose à laquelle j'étais capable de penser était les yeux indigos débordant de haine et de tristesse. Ils me hantaient, ces orbes accusateurs qui avaient remué jusqu'aux tréfonds de mon âme, ils ne me quittaient pas une seule seconde, au point que j'avais parfois l'impression de les croiser au détour d'une rue, dans ma chambre, à la salle de sport.

Lumi ne m'avait pas adressé un seul mot depuis cette fameuse dispute. Nous nous étions croisés quelques fois dans l'appartement, mais il évitait mon regard et s'empressait de sortir. Pendant des semaines, il ne dormit que quelques jours chez nous et je passai le reste du temps à me demander où il était et ce qu'il faisait. Était-il hébergé par l'un de ses amis peu fréquentables ? Avait-il augmenté la fréquence de ses combats ? Dormait-il dans la rue ? Était-il blessé ? Pourquoi refusait-il obstinément d'avoir une discussion avec moi ?

Nous ne nous étions encore jamais disputés, mais j'avais toujours pensé que si cela arrivait un jour, nous en parlerions immédiatement et ne nous ferions pas la gueule plus de dix minutes. Mais non. Lumi refusait tout contact avec moi et les seules fois où je parvins à l'interpeller, il m'ignora ostensiblement.

La situation m'était invivable.

Je n'avais pas passé un seul jour sans Lumi depuis notre rencontre, quinze ans auparavant. Jamais encore nous n'avions été séparés, et même lorsque je dormais chez Alma, nous trouvions un moment dans la journée pour aller boire un coup. Depuis mes sept ans, ma vie entière tournait autour de ce mec, et maintenant qu'il refusait d'en être le noyau, mon monde vacillait dangereusement.

Lumi me manquait. Et je lui en voulais de me manquer.

Peut-être n'avais-je jusqu'alors pas remarqué à quel point il m'était vital... Mais son absence me coupait le souffle.

Les jours passèrent et la cérémonie d'union arriva. Avant de partir le matin, Alma me fit mille dernières recommandations auxquelles je mis fin en l'embrassant passionnément. Elle n'avait pas à s'inquiéter, tout allait bien se passer.

Debout devant le miroir à pied qui me faisait face, je rajustai mon nœud papillon et plongeai mon regard dans les deux yeux sombres qui se reflétaient dans la glace. Pourquoi étaient-ils si ternes ? Pourquoi semblaient-ils me juger alors que j'en étais le propriétaire ? Pourquoi cet air accusateur ? Pourquoi ce visage blême et ces traits tirés ? Bordel, je n'avais rien fait de mal !

Rageur, je passai ma main dans mes cheveux et les rabattis en arrière, dévoilant mes tempes tatouées depuis peu. Souris, bon sang, voici venu le plus beau jour de ton existence !

A l'ombre de ton sourireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant