11. Point de rupture

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A nos vingt-deux ans, la situation se calma et nous eûmes droit à plusieurs mois d'accalmie. Lumi semblait s'être assagi et la puissance destructrice de ses chaleurs s'était amoindrie. Il souriait, beaucoup, et son air s'était adouci à un point incomparable.

J'avais l'impression d'avoir affaire à un autre homme, plus proche de mon ami d'enfance, et cela me ravissait au plus haut point. Son visage avait retrouvé sa grâce d'antan ; le fait de ne plus boire et de ne plus rentrer la gueule tuméfiée toutes les semaines y était largement pour quelque chose.

Il se montra plus disponible, plus avenant, et nous passâmes des soirées mémorables à nous tordre de rire sur le canapé ou à faire des courses de moto en campagne. De même, nous recommençâmes à faire des sorties ensemble, avec Alma. Nous allions danser, camper, nager, faire du golf, de la peinture, de la course à pied... Bref, il n'y avait pas un weekend sans que nous ne testions une nouvelle activité.

Je me sentais à nouveau complet, épanoui. Les deux personnes les plus importantes de ma vie étaient constamment à mes côtés et me comblaient de joie chaque jour. Rien ne pouvait faire éclater cette petite bulle de bonheur.

Rien ?

Début mars, je profitai d'une soirée jeux vidéo avec Lumi pour lui révéler la nouvelle qui allait chambouler ma vie et dont je voulais qu'il soit le premier témoin. Cela faisait des mois que nous en parlions avec Alma et cette fois c'était sûr, j'étais résolu à franchir le pas.

Après une énième partie gagnée par mon ami, je l'écoutai se moquer ouvertement de moi et m'enfonçai dans le canapé en souriant en coin. Lorsqu'il eut fini, je pris la parole à mon tour, l'estomac crispé d'excitation.

— Je vais me lier à Alma.

Lumi se figea, sa manette encore dans la main. J'interprétai cette absence de réaction comme de la surprise, mais lorsqu'il fit glisser ses yeux indigos vers moi, j'y vis une expression de pur effroi. Aussitôt, mon cœur chuta à mes pieds et ma gorge se noua.

— Tu vas quoi ?

La voix de mon ami était éraillée, il avait détaché chaque mot, à croire que prononcer cette phrase lui demandait un effort surhumain. Je déglutis difficilement et me répétai.

— Je vais me lier à Alma. On en parle depuis un petit moment maintenant et on se sent prêts. Mais t'inquiètes pas, ça changera rien entre nous, tu pourras venir vivre à la maison et...

— A la maison ?

Son ton était si menaçant que je me crispai immédiatement. Par précaution, je contractai les poings sur le canapé et gardai mon regard résolument rivé sur lui. Son visage était terrible : ses yeux bleus étaient plus sombres qu'une mer agitée et ses traits étaient déformés par le dégoût.

Jamais encore je ne lui avais vu une telle expression et cela me terrifiait car je la savais annonciatrice de bien mauvaises choses.

— Tu te fous de ma gueule Zac ?

— Il fallait bien que ça arrive un jour... Ça fait déjà trois ans que je suis avec Alma, tu vas pas me dire que ça te surprend.

— Mais putain et notre promesse ?!

Je fronçai les sourcils d'incompréhension.

— Lumi, on avait dix ans... Tu pensais pas sérieusement qu'on allait la tenir jusqu'à notre mort ?

J'étais réellement consterné. Bien sûr que les promesses que je faisais avec mon ami valaient de l'or, mais celle-ci était bien trop spontanée et bien trop immature pour tenir dans le temps. Il n'y avait qu'à voir la puissance de ses dernières chaleurs : son corps réclamait de se lier à un alpha. Tout comme le mien voulait se lier à Alma pour en faire ma partenaire.

Mais Lumi ne semblait pas me comprendre.

La commissure de ses lèvres se tordit vers le bas et ses mains se mirent à trembler de rage autour de sa manette. Et d'un coup, il la balança dans ma direction, si fort que j'eus à peine le temps de me jeter sur le côté pour ne pas la recevoir en pleine gueule.

— Putain, mais t'es cinglé ? crachai-je.

Lumi se leva et le regard qu'il m'adressa était chargé d'une haine si tangible qu'il m'aurait suffi de tendre le bras pour la toucher. Puis il explosa.

— Putain Zac, comment tu peux me faire ça ?! Tu te fous de ma gueule ?! Merde, c'était notre promesse !

Il se rua vers moi et m'attrapa par le col de mon t-shirt qu'il écrasa dans son poing. Sa poigne était si ferme que j'avais l'impression qu'il cherchait à me décoller du sol.

— Je peux pas croire que tu agisses comme un putain d'égoïste et que tu la brises aussi facilement pour une meuf ! Quoi, tu peux pas garder ta queue rangée alors tu cherches à avoir ta pute personnelle ? C'est ça le problème ? T'as tellement besoin de baiser que tu veux toujours avoir un cul à disposition ?

Ses mots firent disparaître le dernier sursaut de conscience qui m'habitait et je le repoussai de toutes mes forces avant de l'empoigner à mon tour par son t-shirt. Mais il frappa durement ma main avant de me décocher un coup de poing en plein thorax.

— Putain tu peux pas me faire ça ! Tu m'avais promis... Tu peux pas me laisser comme ça !

Chacun de ses mots était ponctué d'un nouveau coup et la douleur m'assaillait de toute part. Il était complètement fou. Ses yeux lançaient des éclairs et son visage était déformé par la colère.

Je me protégeais du mieux que je le pouvais, mais Lumi avait l'expérience du combat et je n'avais aucune envie de le frapper. En réalité, sa rage me donnait envie de pleurer. Parce que je voyais bien que chacun de ses coups était asséné avec la force du désespoir. Alors je me laissais faire. Et Lumi s'énervait un peu plus.

— Merde, dis quelque chose Zac ! Défends-toi putain ! Dis moi que c'est une blague !

Finalement, je bloquai ses poings dans mes mains et les serrai de sorte à ce qu'il ne puisse plus se dégager. Lumi se débattit, mais je voyais bien que lui non plus ne souhaitait pas de ce combat. Il voulait simplement me secouer, me remettre les idées en place... Ce que je ne souhaitais pas. J'étais blessé par sa réaction. J'avais besoin de son soutien et de son assentiment ; pourquoi s'évertuait-il à tout rendre plus compliqué ? Je n'avais aucune intention de le laisser tomber, mais je voulais également faire ma vie avec Alma. J'en avais envie.

Alors, je serrai un peu plus fort ses poings entre mes doigts et plongeai mon regard dans le sien.

— Tu peux hurler et me frapper autant que tu veux, ma décision est prise. Donc soit tu me soutiens, soit tu fermes ta gueule. Mais je ne changerai pas d'avis.

Je n'avais pas voulu être aussi rude, mais j'étais déçu par son comportement et passablement énervé par ses propos.

Face à moi, le corps de Lumi se détendit petit à petit, semblant s'effondrer sur lui-même. Il baissa la tête et laissa choir ses bras le long de son corps, comme s'il était soudainement envahi d'une immense lassitude.

Il ne m'adressa aucun regard et recula jusqu'à ce que son dos heurte le mur. Là, il longea péniblement ce dernier jusqu'à l'entrée puis sortit de l'appartement.

Quand la porte claqua derrière lui, je sentis mon cœur en faire de même contre ma cage thoracique.

C'était notre première dispute.

A l'ombre de ton sourireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant