2. Le premier en haut a gagné

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Quelques mois plus tard, ma mère décida de s'installer définitivement dans la villa de vacances. Mon père et elle ne s'entendaient plus et sa condition fragile requérait une vie saine à l'air frais.

Alors que mes frères et sœurs hurlaient et pleuraient de devoir quitter notre ville natale, j'exultais en secret, trop heureux à l'idée de recroiser cet ami évanescent dont je ne connaissais même pas le prénom.

Mes parents ne surent jamais ce qui s'était passé ce jour où ma gouvernante m'avait perdu au milieu de la forêt. Lorsqu'ils m'avaient retrouvé, trempé et grelottant, je m'étais contenté de leur dire que j'avais glissé en voulant traverser la rivière en contrebas. Et personne n'avait posé davantage de questions. Évidemment.

Pour la première fois de ma vie, je trouvai un avantage au fait d'être le quatrième enfant d'une famille de cinq. Je n'avais pas connu l'amour transcendant dévoué au premier enfant, ni la fierté accordée au deuxième, encore moins la tendresse excessive dont était couvert le dernier de la fratrie. J'avais été considéré sans être choyé. Disons que je n'étais pas le premier que l'on cherchait lorsqu'on entrait dans une pièce. Et cela me convenait très bien car, sans le vouloir, mes parents m'octroyaient ainsi une grande marge de liberté à laquelle ils n'auraient jamais adhéré en temps normal.

Ce manque d'amour véritable me pesa toutefois jusqu'à mes sept ans. J'enviais le regard fier que posait mon père sur mes frères aînés et celui, tendre, que ma mère faisait glisser sur le plus jeune.

Mais ma rencontre avec Lumi changea la donne. Dès cette fameuse après-midi, je sus que je trouverais dans cette relation toutes les émotions qui m'avaient cruellement fait défaut jusqu'ici, et le fait que personne ne surveille vraiment mes faits et gestes allait me permettre de pouvoir profiter pleinement de cette amitié naissante.

Ce qui fut le cas.

Le lendemain de notre installation dans la villa, je m'enfuis dans la forêt et m'enfonçai plus loin que je ne l'avais jamais fait. L'odeur de mousse et de terre humide emplissait mes narines et un délicieux sentiment de liberté se diffusait dans mes veines. J'aimais être ici. Terriblement.

Au fond de la forêt se dressait une immense paroi rocheuse sur laquelle les amateurs d'escalade aimaient grimper. Je ne les avais jamais vus faire, mais je les avais croisés plusieurs fois, chargés de leurs gros sacs à dos et de leurs mousquetons, riant à gorge déployée tandis qu'ils s'enfonçaient dans les bois. Je rêvais de les imiter.

Lorsque je parvins à cet endroit tant idéalisé, il n'y avait personne. Je regardai autour de moi pour vérifier que c'était bien le cas avant de me lancer à l'assaut de ce rocher qui me défiait tant. Inconscient du danger et têtu comme pas deux, je m'agrippai aux rares prises saillantes que je trouvais et me hissai du mieux que je pouvais vers le sommet. Évidemment, quelques mètres plus haut – et bien loin de l'arrivée – je me retrouvai bloqué et incapable de redescendre. La réalité de la situation me frappa soudainement, me faisant blêmir contre la paroi glacée. Mon cœur se mit à tambouriner dans mes oreilles et ma respiration se fit erratique, presque douloureuse.

Alors que la sueur commençait à rendre mes paumes glissantes, une petite voix retentit sous moi.

— Ben alors, t'es bloqué ?

Je manquai de sursauter puis glissai prudemment mon regard vers le bas. Je reconnus immédiatement la chevelure opaline et les grands yeux bleus espiègles. Malgré moi, un sourire vint étirer mes lèvres et la peur qui me paralysait jusque-là s'évanouit aussi vite qu'elle était apparue.

— Je suis pas bloqué, rétorquai-je de mauvaise foie. Je fais une pause.

Ses lèvres fines se retroussèrent sur ses dents de travers et il ne lui fallut que deux secondes pour se hisser à ma hauteur.

A l'ombre de ton sourireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant