8. A la recherche d'un sens

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A mes dix-huit ans, je me découvris une nouvelle passion pour les tatouages.

L'un des amis que je m'étais fait en cours apprenait à tatouer et je lui servis de cobaye jusqu'à la fin de sa formation. Rapidement, mes bras, mes jambes, mon torse et même mes mains lui firent office de support pour ses dessins les plus déjantés et je ne me lassais pas de passer sous ses aiguilles.

Je ne sais pas ce que j'aimais le plus dans le fait de me faire tatouer : était-ce de voir mon corps se transformer en œuvre d'art géante ? Était-ce cette douleur si cathartique qui me faisait frissonner lorsque les aiguilles pénétraient ma peau ? Ou bien était-ce cette expression d'horreur qui déformait le visage de mon entourage à chaque fois qu'il me voyait ? Je ne saurais dire, mais ce dont je suis sûr, c'est que je devins complètement addict à cette pratique.

A chaque fois que je revenais avec une nouvelle pièce encrée sur le corps, Lumi posait un regard émerveillé sur cette dernière et retraçait du bout des doigts chaque trait, chaque contour, chaque rougeur. En dépit de mes exhortations, il refusait de se faire tatouer à son tour, affirmant qu'il préférait admirer les dessins sur mon corps plutôt que sur le sien. Soit.

Sa peau aussi se marquait pourtant de mille couleurs depuis quelques mois. Ne se contentant plus des bagarres de rues, Lumi participait désormais à des combats de boxe clandestins, dont il revenait toujours tuméfié, ensanglanté, mais tremblant de plaisir. Il ne s'arrêtait jamais, comme s'il cherchait à travers la violence l'accomplissement de ce qu'il était sans jamais y parvenir. Il lui fallait donner autant que recevoir, et j'ignore encore quelle satisfaction il retirait de ces combats terribles dont il ne sortait jamais indemne.

Pourtant, j'appris très vite qu'il était fort. Très fort même. Peut-être l'un des plus forts de la région. A chaque combat, il était animé d'une espèce de rage sourde qui le poussait à se jeter dans le tas sans aucune crainte. Cherchait-il à se défouler ou à se faire punir ? Je ne parvins jamais à le savoir et ne creusai pas davantage.

Les soirs où Lumi rentrait la gueule tuméfiée et les lèvres éclatées par les coups, je désinfectais chacune de ses blessures tandis qu'il gardait les yeux fermés, frissonnant encore de plaisir au fur et à mesure que l'adrénaline quittait ses veines.

Alors, quand j'avais fini de le soigner, il m'adressait un sourire rayonnant qui faisait péter ses coupures aux lèvres et je grognais en voyant le sang couler à nouveau sur son menton.

Ces soirs-là, nous mangions toujours à l'extérieur. Il y avait un petit restaurant de ramen en bas de notre appartement, qui ne payait pas de mine mais dont le patron nous avait pris en amitié et nous faisait des prix plus qu'acceptables.

Nous nous asseyions toujours à la même table, celle qui était branlante au fond de la pièce, coincée entre le bout du comptoir et la vitrine poussiéreuse. Et nous parlions. Nous parlions sans nous arrêter, pendant des heures, de tout et de rien, de ce que nous allions devenir quand nous aurions nos diplômes en poche, de tous les pays que nous rêvions de visiter, de toutes les conneries qu'on mourait d'envie de faire, de l'énorme baraque qu'on aurait – suffisamment grande pour que chacun ait sa partie et puisse baiser le plus de personnes possibles dedans.

Bref, nous aimions ces soirées, sûrement plus que tout, parce que nous y construisions des projets et y confessions des secrets que la nuit protégeait bien précieusement en son sein. Ces soirées-là, c'était juste nous, c'était l'essence-même de cette amitié qui nous maintenait en vie.

En temps normal, nos soirées étaient bien différentes. Nous traînions avec nos amis communs ou avec la bande à Lumi dont j'avais appris à apprécier certains énergumènes. Ces nuits-là, nous nous explosions le crâne à coup de vodka et de LSD, assez puissamment pour oublier où nous habitions et nous endormir sur le trottoir dans le plus grand des calmes. Je ne compte plus les fois où les lendemains de ces soirées se sont passés en garde à vue. C'était presque un rituel : on s'éclatait la tête avec comme dernière certitude le fait que nous dormirions chez les flics le soir. C'était notre petite habitude, décuver dans une salle qui sentait le vomi, sur des bancs trop durs et entourés de mecs tous plus bourrés les uns que les autres.

A l'ombre de ton sourireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant