14. La Plage

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Thomas s'était reclus un peu plus loin dans le tunnel, à l'écart des adolescents qui somnolaient les un contre les autres. Newton le rejoignit d'un pas lent, les joues rouges et la tête inclinée. Il s'assit à ses côtés, posant son front contre le sien. Il semblait gêné, presque honteux de se présenter devant lui. Il n'osait plus lever un doigt, ni même le regarder droit dans les yeux. Thomas, soucieux face à sa soudaine timidité, demanda : « Qu'y a-t-il ? » Deux perles noires s'ancrèrent dans ses pupilles. Elles l'observèrent longuement, se délectèrent un moment de leur douce lueur d'or. L'ancien co-leader grigna le coin de ses lèvres, répondant : « Je... Je me sens... creux... si creux... » Le garçon brun devina : « Alby ? » Mais Newton réfuta son hypothèse en secouant la tête. Il développa, la voix plus basse, comme si ses mots avaient été banni : « Je n'existe plus... plus comme avant. Je me suis... perdu... à tout jamais... et toi... toi, tu es plein... tu te souviens de tout... de tout de moi... de ma voix, de mon odeur, de mon corps, de mon caractère... tu as tout, et moi... moi, je n'ai rien... » Thomas resta silencieux, pris par une invraisemblable incompréhension des paroles que son amant venait de murmurer. Newton précisa, culpabilisant : « Je ne suis pas jaloux de toi... ni même rancunier... loin de là. J'ai simplement l'impression de... de ne pas te connaître, de t'avoir oublié... et... j'aimerais tellement que ça me revienne... j'aimerais tellement me souvenir de ce que ça fait d'être seul avec toi, de me réveiller à tes côtés, de t'aider, de te faire du bien... La vérité est que je n'ai plus rien à t'offrir... Je suis... vide. » Thomas prit son visage en coupe, secouant la tête à son tour.

« Tu te trompes. Tu me donnes tant. À chaque instant. Tu m'aides tant. Tu aides tant. Notre liberté... Tout ça... Tout ça est grâce à toi. »

Newton le démentit, tenta de le faire taire, mais Thomas posa l'une de ses mains sur ses lèvres.

« Écoute-moi. ordonna-t-il une fois le garçon bâillonné. Tu m'as fait retrouver la mémoire. Toi. Toi et toi seul. C'est grâce à toi si je me rappelle de mon passé, grâce à toi que nous avons pu nous enfuir. Je suis ici pour toi et grâce à toi, grâce à notre amour. Tout ça découle de toi, de ta présence, de ta confiance, de ta douceur... de toi tout entier. Et tu m'as tant appris. Dans le passé comme dans le présent. Tu n'es pas vide, Newton. Tu n'es pas creux. Et je ne suis pas plein. Personne ne l'est. D'accord ? Ton passé existe encore en toi. Il n'est pas effacé. Il ne l'est chez aucun Blocard. Il est perdu. Perdu en vous. C'est tout ce qu'il est. »

Le garçon l'écoutait, les yeux pleins de larmes. Il confia dans un sanglot étouffé : « J'ai peur... Peur de te manquer... de ne pas bien savoir remplacer Newton... de ne rester que Newt...

- Newton, Newt... Peu importe. J'aime tout ce que tu étais, tout ce que tu es, et tout ce que tu deviendras. Je ne demande ni ton passé ni ton futur. Je ne demande que toi, maintenant, à cet instant. Rien de plus. Newt... Crois-moi. Tu es si similaire à celui que tu étais... Un détail vous sépare. Fais-moi confiance. Je suis celui qui te connaissais le mieux. Vous êtes identiques. Tu as simplement des souvenirs en moins. »

Newton inclina le regard, réfléchit un moment puis demanda, couvert de rougeurs : « Pourrais-tu... me raconter notre plus beau souvenir ? N'importe lequel. Celui qui te fait le plus sourire. » Quelque peu surpris, Thomas haussa les sourcils et s'étonna : « Eh bien... il y en a tant à mes yeux... C'est compliqué de faire un choix. » Il observa le regard plein d'espoir du blond qui s'accrochait à son bras comme à son passé et soupira : « Bon... Il y en a bien un qui me charme davantage que les autres... » Newton se redressa de curiosité. Il détailla les joues de Thomas rosir d'embarras lorsqu'il débuta : « Je travaillais dans la salle des illusions... Il s'agissait d'un endroit obscure et clos, où l'on pouvait commander le paysage qui nous enfermait. Cela servait normalement à construire le faux ciel du labyrinthe et ses pièges. Quelques jours avant ton départ, j'ai décidé de te faire oublier notre destin quelques instants. Nous avions tout juste seize ans. Tu m'avais confié la veille que, lorsque tu étais bien plus petit, avant que WICKED ne te capture, tu adorais t'endormir aux pieds de l'océan, écouter la mélodie de ses vagues, t'enfoncer dans la douceur de son sable et accueillir la chaleur rassurante des rayons du soleil. La mer te réconfortait. Elle te berçait comme une mère avec son enfant. Elle était une présence affective que tu n'avais jamais reçu auparavant, une berceuse qui te soutenait quoi qu'il se passait dans le monde. Tu tenais tellement à elle, et elle te manquait tant... Alors... je t'ai emmené dans la salle des illusions pour te faire voir l'océan, sentir ses odeurs et entendre la vie qui y sommeille. Nous nous sommes allongés l'un contre l'autre, dans la chaleur du sable, les pieds doucement trempé par les vagues qui remontaient le long de nos jambes. C'était une plage sans pareille. Les couleurs chaudes du soleil couchant miroitaient sur la surface de l'eau, les mouettes chantaient et nous n'étions que nous, corps contre corps. Nous nous sommes endormis bien deux heures après tout cet amour et tout ce bonheur qui nous avait grisé pendant des minutes entières. C'était mémorable. Finalement, nous avons regagné le dortoir, là où... où nous nous sommes aimés pour la première fois. » Son visage rougit un peu plus.

« C'était un jour merveilleux. Il m'arrive encore de rêver de nous, sur cette si belle plage... Je ne me suis jamais senti aussi heureux. »

Newton l'observait d'un regard touché, ému, brouillé par les larmes qui coulaient sur la tendresse de son sourire. Il attrapa ses mains, les baisants avec des lèvres mouillées : « Tommy... Je t'aime tellement. Je t'aime putain de tellement. Ce que tu me partages... tu ne peux pas savoir combien ça représente pour moi... Combien j'ai l'impression de me rapprocher de ce que j'étais, de ce que nous étions... Seigneur, j'aurais tant aimé que ça ne s'arrête pas, que tout cet enfer n'existe pas, que l'on se prélasse à la plage, l'un contre l'autre, tout un après-midi... J'aurais tant aimé... » Les iris de Thomas dégoulinaient de nostalgie. Il saisit les mains du blond dans les siennes, les serrant et les apportant près de son cœur dans un sourire amoureux : « Nous vivrons cet après-midi. Je te le jure. Lorsque toute cette histoire prendra fin, nous ferons tout ce qui nous chante, ensemble et rien qu'ensemble. Nous aurons cette chance. Je te le jure... » Newton riait entre ses pleurs : « Tu as grandement intérêt à tenir ta promesse ! » Il cueillit ses lèvres, surprenant Thomas qui glissa ses mains le long de ses hanches. Il insista à nouveau de son ton solennel : « Je te le promets, Newt. »

Pouvoirs - NewtmasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant