L'étoile bleue

259 12 7
                                    


   Je tends l'oreille : aucun courant d'air ne s'infiltre entre les planches de la coque du bateau, aucune une vague ne frappe le bateau avec fureur, aucune voile ne bouge. Je m'approche du bord et monte dessus. Mes cheveux restent raides dans mon dos, il n'y a pas une mèche qui me gêne. Je fronce les sourcils. Le vent ne souffle plus, c'est un désastre. Je fixe l'eau, une sirène me fait de grands mouvements, m'indiquant de partir loin d'ici. Je plisse les yeux, éblouie par le soleil qui me colore doucement la peau. Je m'accroche à une corde pour redescendre de mon perchoir. La mer est calme, je ne l'avais jamais vu aussi reposé. Le bateau ne navigue plus, le capitaine est en train de parler avec Caspian et Edmund de la situation. Si le vent ne nous emmène pas à l'île de Ramandou alors nous mourons de faim et de soif.
- Je finirais par manger ce dragon si cette situation perdure, grogne un marin dans sa barbe.
   Ripitchip, perché sur la tête d'Eustache, brandit son épée en guise d'avertissement. Je souris tendrement, ces deux-là font une bonne équipe. Le dragon vole au-dessus du bateau depuis presque une journée entière, je ne sais pas où il puise toute cette énergie mais c'est remarquable. J'aide les quelques marins qui ont besoin de moi, je ne sais pas réellement ce que je peux faire, je n'ai pas le pouvoir de contrôler la météo malheureusement. Je parcours le pont d'un air songeur, l'étoile bleue est toujours aussi visible malgré le soleil, je la regarde presque tout le temps, ayant peur qu'elle ne s'échappe brusquement.
   Je monte les marches qui mènent à la barre, puis soudainement le bateau est pris de violentes secousses. Je manque de tomber en arrière mais me rattrape au bord qui glisse sous ma main. Je pivote sur mes talons, cherchant la cause de ce raffut. Je questionne les garçons du regard, ils ont l'air aussi perdu que moi.
   Edmund se précipite près de l'eau, un immense sourire s'illumine, ses yeux fixent quelque chose dans le ciel. Je fronce les sourcils et suis son regard : Eustache nous tire avec sa queue qui est enroulée autour de la proue, volant dans la bonne direction.
- T'es le meilleur Eustache !! hurle Ed en riant.
  Un soupir de soulagement s'échappe de mes lèvres, nous voilà sauvés ! Je lance un regard insolent au capitaine.
- C'est qui, qui avait raison ?
   Il se contente de lever les yeux au ciel, ses lèvres légèrement arquées dans un sourire. Tout le monde applaudit, heureux d'être sorti de cet enfer.
  

***

- Nous ne sommes même pas sûrs que les seigneurs ont réussi à arriver jusqu'à l'île de Ramandou, dit Caspian en observant ses trois épées enchantées.
   Nous nous sommes retrouvés dans sa cabine, Edmund, moi et lui pour une petite discussion. Après s'être remis en route, il fallait savoir comme nous allions aborder cette nouvelle île qui est peut-être aussi cruelle que les précédentes. Je suis adossée à un mur, tournant la lame entre mes doigts. Je fixe l'océan derrière Caspian.
- Qu'est-ce tu en penses ? Xana ? m'appelle Edmund en passant une main devant mes yeux.
   Je reviens sur terre.
- Hm ?
- On parlait de notre plan. Le plus sûr est d'y aller sans arme à part les tiennes. Si on devait compter sur quelqu'un pour nous protéger ce serait toi. Une personne armée c'est mieux qu'une cinquantaine.
   J'acquiesce devant les propos de Caspian, silencieuse.
- D'ici moins d'une heure nous serons sur l'île, surtout prenez garde. On ne sait pas ce qu'il nous attend. Nous ne venons pas pour nous battre mais pour avoir des indices, continue le telmarin.
- Ce n'est pas risqué qu'on débarque tous ? je demande enfin.
   Caspian grimace. Je lui fais signe de poursuivre son idée.
- Les hommes meurent de faim, que ce soit de nourriture ou de combats. Nous ne pouvons pas les écarter de nouveau. C'est leur quête à eux aussi.
- Oui je comprends.
- Comment tu vas ? lance Ed d'une mine inquiète.
   Je hoche les épaules.
- Fatiguée mais vivante. Mes blessures sont guéries.
   Edmund allait répliquer quelque chose mais la voix forte d'un marin le coupe :
- Tous dans les chaloupes !
   Je lui souris tristement et quitte la pièce sous les regards inquiets des deux garçons. Je suis assez fatiguée de mon rôle de reine. Au départ je n'étais qu'une gamine de Londres. Pas une reine d'un pays imaginaire ! J'ai la sensation d'être Peter Pan. Je rêve parfois d'une vie simple. Le rêve d'une jeune adulte, sans guerre ni violence. Narnia est un endroit où je veux habiter, malgré que ce rôle me pèse, j'aime pouvoir contribuer à ce monde ! Je souhaite juste avoir une paix durable. N'est-ce trop demandé ?
   Je glisse mes armes dans mon dos et monte dans une barque. Ravalant mon mal du pays. Edmund s'assoie à côté de moi, il me prend discrètement la main et effectue des petits cercles avec son pouce sur le dos de ma main. Je dépose machinalement ma tête sur son épaule et ferme les yeux. Les matelots nous regardent discrètement, attendris par cette tendresse qui me donne assez de courage pour aimer la vie comme elle est. Rien n'est parfait, mais avec lui, tout a l'air plus facile.

***

   La nuit est tombée depuis un certain temps. Caspian marche devant moi, je m'amuse à lui tapoter l'épaule pour lui faire peur, ce qui marche très bien car il hurle à la mort en brandissant des trois épées. Je ris aux larmes tandis qu'il me fusille du regard. Les autres pouffent aussi.
- Tu n'avais pas dit que j'étais la seule armée ?
- Ce sont des artefacts, pas des armes de guerre, me répond le brun dans un soupir las.
   Je ris encore plus, je manque de glisser sur une pierre humide, il me rattrape à la dernière minute. Je le remercie en tapotant gentiment son torse. Nous continuons notre chemin jusqu'à arriver dans une sorte de grotte. Une grande table trône au milieu de la pièce, de la nourriture et des couverts sont disposés dessus, il y en a assez pour chacun de nous comme c'est étrange. Je reprends mon sérieux et observe la taverne avec une torche. Le lieux est poussiéreux, une faille dans la roche laisse passer les rayons de la lune qui éclairent la pièce. Des toiles d'araignées décorent les verres et la nourriture ne semble pas moisie. Cet endroit lugubre ne donne pas envie, Aslan a des goûts pour la décoration très douteux.
- À manger, gémit un centaure.
- Attends, ordonne le capitaine, l'air soucieux.
   J'éclaire une parois au fond de la grotte, trois hommes sont piégés dans la végétation qui composent les murs. Je manque d'hurler de terreur. Je recule d'un pas et détourne les yeux. Caspian me rejoint rapidement, il tourne sa lumière dans la même direction. Il jette un coup d'oeil aux cadavres, un voile de tristesse obscurci ses yeux.
- Ce sont les seigneurs, dit-il.
  Je dégage les longs cheveux gris du seigneur Argos pour voir d'un peu plus près. Un soufflement de sa part me prend au dépourvu.
- Ils sont vivants, dis-je, les yeux exorbités.
- Ils sont peut-être envoûtés, ajoute Edmund.
   Caspian se retourne précipitamment.
- La nourriture !
   Un centaure lâche sa pomme dans un cri de surprise.
   Le talmarin récupère rapidement leurs épées et les disposent ensuite sur la table d'Aslan.
   Il y en a six. Il nous en manque plus qu'une.
   D'un seul coup, les larmes scintiller d'un bleu clair. Je fronce les sourcils en m'approchant. Je n'avais jamais vu une telle magie.
   Un tintement venant du ciel nous interpelle. Une boule bleue descend pour venir se déposer devant nous. La sphère difforme se trouve être une ravissante jeune femme. Ma mâchoire menace de se décrocher.
- J'aime les femmes ! je lâche sous les regards entendus de Caspian et Edmund.
- Moi aussi, disent-ils en coeur.

La Fin des Contes (3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant