Autant l'avouer tout de suite : je suis une grosse merde avec les enfants. J'ai des tonnes de qualités, mais celle-là n'en fait pas partie, restons lucides. Alors pourquoi, oui pourquoi, me diriez-vous, avoir passé un entretien d'embauche pour s'occuper d'un petit ? C'est simple : j'ai besoin d'argent.
De toute façon, ça ne peut pas être si compliqué que ça, non ? Je veux dire, on a tous été enfant un jour. Il y a forcément quelque chose, un reste, des souvenirs. Un truc naturel qui ressort. Oui, on peut le dire, ça ressemble vachement à des tentatives désespérées pour se rassurer.
On fait comme on peut, que voulez-vous que je vous dise de plus ?En tous les cas, je n'ai plus le choix. Je dois me pointer à dix heures pile devant la maison marron du petit Eliott.
Je suis tellement angoissé que je me réveille à sept heures trente.
Je traîne sur les réseaux sociaux pour tuer le temps. Ne faites pas genre, je sais que vous le faites aussi.
Ensuite, je tourne en rond. Littéralement. Je fais les cent pas de long en large. Je ne sais pas si vous l'aviez compris mais je déteste rester statique.
Puis, je mets un bon rock en fond sonore. Après une bonne douche, une double dose de déo, il faut être prévoyant, j'enfile mon jean préféré, celui qui est tout défoncé aux genoux et ajoute un pull marron, juste pour la blague, histoire de me fondre dans le décor. Je ris tout seul en pensant à ma vanne. Puis je claque la porte derrière moi après avoir dit au revoir à ma mère. Oh et je suis au retard. Comme d'habitude.
Dehors, je fais moins le beau qu'hier. J'entre dans le métro en regardant tout autour de moi. Je me sens un peu con. J'aurais dû sortir ma veste rose, la veste des grandes occasions. Je regrette mais je ne peux pas faire machine arrière.
Vous l'aviez peut-être remarqué mais on a toujours tendance à se concentrer sur des détails absurdes quand on commence à stresser.
Du style, vous êtes sagement assis sur un vieux siège sale du métro, filant à toute allure. Tout d'un coup, vous pensez à une veste rose. Votre veste rose délicatement rangée dans votre armoire. Vous avez besoin d'elle. Vous vous mettez à penser que votre journée sera gâchée, piétinée, par son absence. Tout est foutu, d'accord ?! Non mais vous ne comprenez pas ! Comment je peux faire sans ma veste ?!
Ou alors, deuxième scénario, vous êtes sagement assis sur un vieux siège sale du métro, filant à toute allure. Puis vous pensez à votre matinée, à ce que vous avez fait, mangé, dit. Bref, vous vous ennuyez comme un rat mort. Et là, vous vous dites : je suis allé pissé, c'est sûr. Mais est-ce que je suis sûr de ne pas avoir encore envie ? Ça y est, vous en êtes persuadé, votre vessie est pleine. Comment faire ? Vous vous dandinez comme les gosses qui attendent toujours le dernier moment. Vous ne pouvez pas pensez à autre chose. Il vous faut des toilettes au plus vite même si vous y êtes allé, il y a peine trois minutes.
Et puis quelques fois, vous vous retrouvez dans les deux situations simultanément. Je vous jure, c'est dur. Très dur. Mais au moins je ne pue pas cette fois-ci. Enfin j'espère.
Je descends à mon arrêt : il ne me reste plus que trois minutes pour être à l'heure. Seulement, si je peux faire une croix sur ma veste, je ne peux pas en faire autant pour ma vessie. Il faut à tout prix que je pisse. Là. Maintenant.
Je ne peux pas attendre, c'est comme ça. Elle ne va pas m'en vouloir, si ? C'est humain, après tout. Je suis sûr qu'on peut clamser si on se retient trop. Personne ne souhaiterait ma mort. Finalité de l'histoire : il faut que je me trouve des chiottes.
Je cours en sens inverse, je crois qu'il y a des toilettes au bout de l'avenue. Ou bien dans cette rue. Bordel, je n'en sais rien. Je cours sans trop savoir où je vais et au bout du compte je finis par trouver ce que je cherche au total opposé. Il faut admettre que c'est une belle métaphore de la vie.
Mais vous savez le pire ? Je me retrouve devant les toilettes et là, que vois-je, il faut payer. Payer pour pisser. Je suis tenté de me soulager dehors mais ce n'est pas vraiment mon kiffe de faire pipi à la vue de tous, je suis pudique comme mec. La mort dans l'âme, j'introduis une pièce dans la fente. Je suis peut-être corrompu mais je peux enfin penser à l'eau sans me tordre dans tous les sens.
Et c'est reparti. Braguette vers le haut. Ouvrir la porte. Courir. Éviter les passants. Dix minutes de retard. Enfin trouver la maison marron.
La mère d'Eliott est sur le pas de la porte. Elle attend. Si vous vous posiez la question, oui je commence à regretter, je me sens très mal. Elle m'a à peine donné ma chance que je la détruis. Je suis tellement con. Tout ça à cause de cette veste. Et de ma vessie trop petite. J'arrive à peine devant la porte que je me confonds en excuse, mais elle secoue la tête.
- C'est vraiment parce que je n'ai pas le choix..., lâche-t-elle, visiblement irritée.
Elle passe la tête par l'embrasure de la porte, hurle à Eliott que je suis arrivé, puis attrape son sac avant de m'observer sous toutes les coutures. Elle est en train de me jauger. Est-ce que je peux vraiment faire confiance à cet ado qui n'est pas foutu d'arriver à l'heure ? Je crois que la réponse est claire et nette.
Mais elle travaille. Elle n'a pas le choix. Elle est bien obligée de me faire confiance.Elle part, avec son stress sous le bras me laissant seul avec son môme à l'intérieur (je suis sûr que mon pull marron n'y est pas pour rien dans sa décision).
J'ai envie de lui courir après, lui crier de revenir. Mais c'est toi l'adulte, Colin, on ne fait pas l'enfant. Tu. Te. Reprends. Allez mon pote, on se lance.
Foutu pour foutu, je fais le tour de la maison pour trouver Eliott. Je monte à l'étage, ouvre toutes les portes avant de le trouver dans sa chambre. Il est assis en tailleur au milieu de la petite pièce, la seule qui ne soit pas marron. Un peu de répit pour mes yeux, ça ne peut pas faire de mal.
- Salut ! Je suis, hum, Colin.
Il lève à peine les yeux vers moi. Tu ne m'auras pas comme ça, petit... Je reviens à la charge :
- Et toi, Eliott, c'est ça ?
Il acquiesce doucement, se courbe davantage sur ses jouets tandis que je reste debout, à l'embrasure de la porte, ne sachant pas trop quoi faire. Je regarde autour de moi, il ne manque plus que le petit sifflotement.
- Tu joues à quoi ?
Je ne sais pas pourquoi je me mets à débiter des questions absurdes comme un vieux sénile. Ça doit être le stress.
N'empêche que j'ai envie de me foutre des claques parfois. Pourquoi poser des questions si on connaît déjà la réponse ? BORDEL COLIN, TU SAIS TRÈS BIEN QU'IL S'APPELLE ELIOTT. TU VOIS TRÈS BIEN QU'IL EST EN TRAIN DE JOUER AVEC DES LEGOS. T'ES CON OU T'ES CON ?!
Pendant quelques secondes, j'hésite à appeler Will. Il saurait quoi faire, lui. Il sait toujours quoi faire. C'est le cerveau de notre groupe de bras cassés. Mais c'est nul de dépendre toujours des autres. Il faut que j'y arrive tout seul, comme un grand.
- Est-ce que...tu veux que je joue avec toi ?
Il ne répond rien. Non, je ne mens pas. Il ne répond rien. Il hausse à peine les épaules. Je dois le prendre comment ? Fais comme tu veux ? Va te faire foutre, tu me saoules ? Ou, je n'ose pas te dire oui mais j'ai envie que tu restes ? Si on m'avait dit que c'était aussi compliqué de comprendre un gamin de six ans...
Je finis par abandonner :
- Bon, eh bien je suis en bas si tu as besoin de quelque chose.
Mais je sais très bien qu'il n'aura besoin de rien. Il n'est pas du genre loquace ce mioche.
Est-ce que c'est seulement normal pour un gosse de six ans d'être aussi calme ?!
Bordel, je suis vraiment foutu.
VOUS LISEZ
Confessions d'une tapette
Teen Fiction✨GAGNANT 2023 DU PRIX MEILLEURS PERSONNAGES DES WATTYS✨ C'est l'histoire merdique de Colin. Colin avec sa fâcheuse manie de chialer pour un rien. Sa mère aussi tarée que lui, ses amis écorchés, et ses camarades qui le traitent de tapette. Mais peut...