2.

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N'allez pas croire que je suis imbu de ma personne, mais de temps en temps, j'aime bien me regarder dans le miroir.

J'enfile mon pull rayé, un tee-shirt par dessus, un jean noir, mes docs. Et dans ma folie, j'écrase la modestie d'un bout coup de bottes. Je vous assure, ça fait du bien. On ne va pas se détester toute notre vie, si ?!

Alors je me contemple, je me passe en revue sous toutes les coutures. Parfois, je me mets à danser, comme ça, mouvements du bassin, mains en l'air, épaules bougeant en rythme. Je me prends pour un beau-gosse tout droit sorti d'un film américain. Ou bien je me retrouve devant un public de milliers de personnes m'acclamant. Vous ne les entendez pas crier ? COLIN ! COLIN ! COLIN ! Et puis aussitôt, je suis dans une manifestation, je défends n'importe quelle cause noble, je prononce un discours hyper intelligent, et voilà encore la foule qui me réclame. COLIN ! COLIN ! COLIN !

Je les appelle mes instants fugitifs. Parce qu'on a tous besoin de s'échapper.

Oui, je crois que tout le monde devrait avoir ses instants fugitifs. Tout le monde devrait croire un instant qu'il en vaut la peine.

Ce matin est donc un de ces matins-là. On met la musique à fond dans ses écouteurs et on part loin, si loin. On dévale les escaliers, on attrape son sac à la volée, on claque la porte, toujours une bonne musique dans les oreilles. On court pour ne pas rater le métro mais cette fois ce n'est pas si grave. Tout va bien quand on a une bonne chanson sur laquelle vivre. On manque encore d'arriver en retard, mais on s'en fout. On sourit.

Je les vois bien tous ces coincés me regarder avec désapprobation. Mais je les envoie se faire foutre avec un beau sourire impertinent.

On secoue la tête en rythme. On s'accroche à la barre, cette fois on peut, on sent bon. On fredonne un petit air pour se réveiller. On est dans le métro, ça pue, il est sept heures trente-deux, il n'y a que des vieux cons, mais ce n'est pas grave. Rien n'est grave. Aujourd'hui, c'est mon adage.

La musique m'emporte tellement, je pourrais sauter, là, dans tous les sens. Je pourrais hurler, chanter, embrasser n'importe qui. Mais je me retiens. Vous savez comment sont les gens. La décence avant tout.

À mon arrêt, je me dépêche de sortir. Je cours. Un pied devant l'autre. Toujours la tête en rythme. Haut. Bas. Haut. Bas. Bas. Haut.

Puis je sens une main se refermer sur mon bras me coupant net dans ma course. Je fais glisser mon casque, me retourne pour découvrir Will et Alex.

- Je croyais que tu allais passer sans nous voir, rigole Will. Comment tu vas, mec ?

On se prend dans les bras, puis on recommence à marcher. Mon souffle peine à revenir, à moitié haletant, je réponds :

- Très bien, et toi ?

Il dégage les tresses qui lui tombent devant les yeux avant de soupirer.

- Mon frère a encore des ennuis avec les flics. Enfin bref...


Il est comme ça, William. Il vit des trucs de dingues puis secoue la tête en lâchant « Enfin bref... » Il n'est pas du genre à s'attarder sur ses problèmes. C'est un optimiste notre petit Will.

Avant j'essayais de lui arracher les vers du nez. Puis je vous assure, on finit vite par se lasser.

Il finira par en parler quand il en aura envie. De toute façon, il n'y a pas grand-chose à dire. Son grand frère passe sa vie au commissariat du coin. C'est sa deuxième maison. Ce n'est donc rien de bien étonnant. C'est juste un lundi normal dans la vie de William.

Mais quand même. Ouais, quand même. Ce n'est pas parce qu'on garde tout à l'intérieur et qu'on ponctue ses phrases de « Enfin bref... » qu'on n'a pas besoin d'être épaulé. Les habitudes ne rendent pas la souffrance moins douloureuse.

Confessions d'une tapetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant