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Je ne suis pas du genre à abandonner une bataille. Je me bats jusqu'au bout. Peu importe le nombre d'ecchymoses en fin de course. Bon, c'est vrai qu'un enfant de six ans ne peut pas être aussi violent que ça, mais vous voyez l'idée.

Avant toute chose, il faut amadouer l'ennemi pour qu'il baisse sa garde. Pour ça, j'ai décidé d'aller au centre commercial avant de me rendre chez le petit. J'ai même mis ma veste rose pour me porter chance. Toute journée particulière mérite sa veste rose.

Comme un vieux qui ne quitte jamais son canapé, j'avance entre les rayons de jouets sans trop savoir quoi faire. Je ne m'y connais pas du tout.

Soudain, je tombe nez à nez avec des étagères remplies de Barbie. Je vous assure, c'est fascinant. Il y en a pour tous les goûts. Mais mon préféré reste le Ken à la veste rose. Je vous jure, on dirait un mini-moi ! Enfin si on lui rajoutait des cheveux indomptables, quelques boutons, une barbe ridicule, et qu'on lui enlevait sa masse de muscles. Je vous le dis, un sosie !

- Je peux vous aider ?

Je repose délicatement Mini-Colin pour satisfaire le vendeur. Il doit sûrement croire que je vais voler.

C'est tout le temps le cas. C'est absurde, il suffit de me regarder. A quel moment ils peuvent croire que je vais partir en courant avec une Barbie sous le bras ?

- Je cherche un cadeau pour un enfant de six ans qui refuse de me parler. C'est pour l'amadouer, vous voyez.

A l'instant même où je prononce ces mots et que je rencontre ces yeux qui crient «Mais qui c'est ce gars ? », je regrette profondément.

Parfois, c'est comme si Alex rentrait à l'intérieur de moi pour me faire dire n'importe quoi. Non mais c'est vrai, à force de rester avec les mêmes personnes, comment distinguer ce qui vous appartient ou ce qui est à l'autre ? Les limites s'estompent, j'en suis sûr.

- Ah. Vous n'êtes pas au bon endroit. C'est là-bas les garçons.

Vous savez ce sentiment de rage qui gonfle ? Qui pourrait vous faire faire des choses insensées ? Ce sentiment d'injustice qui grandit jusqu'à exploser ? C'est ça, exactement ça, qui s'empare de mon corps. Le pire c'est qu'il a l'air assez jeune. Vingt ans maxi. J'ai l'impression d'être trahi par mon propre camp.

Pourquoi un garçon ne pourrait pas avoir le droit à un Mini-Colin ? Ça veut dire quoi être un garçon ? Ça veut dire quoi des jouets de garçons ?

Vous savez, quand je suis énervé, je peux vraiment faire des trucs bêtes. Comme acheter une Barbie à vingt balles pour contredire un vendeur irritant... Je le regarde droit dans les yeux et lui lance :

- Non, non, je suis au bon endroit. C'est une Barbie que je cherchais.

- Ah...

Il me juge, ça se voit. Il me regarde comme n'importe quelle personne fermée d'esprit regarderait un gars d'un mètre quatre-vingt-douze avec une veste rose et une Barbie dans la main.

Il finit par partir en voyant que je n'ai pas besoin de lui. Ce qui est totalement faux, mais quand vous êtes de mauvaise foi, allez-y jusqu'au bout.

C'est ce que je fais. Je prends un puzzle au pif, aussi perdu que tout à l'heure, j'aurais bien besoin d'un peu d'aide, mais plutôt crever qu'en demander à ce vendeur. Je pose sur le tapis roulant le Mini-Colin et mon puzzle, triomphant.

- Quarante-trois cinquante-huit, s'il vous plaît.

Je m'étouffe avec ma propre salive. Il ne s'est pas trompé ? Est-ce qu'on est sûr qu'il sache lire et compter ? Personnellement, je n'en suis pas si sûr que ça. Comment c'est possible que ces deux merdes coûtent quarante-trois balles ? Dans quel monde vit-on ?

Confessions d'une tapetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant