10.

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Mon problème c’est que je n’ai aucune endurance. Je suis toujours le gars qu’on ne choisit jamais en sport. Et la seule raison pour laquelle je m’en sors pas trop mal en course, c’est grâce à mes guibolles interminables.

Une fois passée la ligne d’arrivée, je m’écroule au sol façon naufrage du Titanic avec les flots d’eau, évidemment.

Je ne parle même pas des ballons... Courir ET attraper un ballon, le faire glisser avec son pied, le lancer avec ses mains, le rentrer dans un trou, une cage, peu importe, c’est toujours une catastrophe.

J’ai beau mettre une double rasade de déo, me ménager un peu histoire de ne pas trop suer comme un bœuf, je finis toujours, et quand je dis toujours c’est toujours, par tomber au sol, inerte comme les neurones du gouvernement quand il est question d’aider le peuple.

Je fais le mort, j’écarte les membres façon étoile de mer. La seule différence c’est que je ne balance pas des 49.3 à la gueule des gens. Vous voyez, quand je souffre, je n’en fais pas profiter le monde entier. Je suis un gars bien, je sais.

Tout ça pour dire que les disputes c’est un peu pareil. Ça me saoule au bout de deux secondes. Je cours, je cours, avec ma colère sous le bras. Je fais deux mètres et me rétame par terre.

Dans la chute, j’oublie carrément pourquoi j’étais aussi tendu. Aucune endurance, je vous dis. Parfois c’est vraiment chiant. Quand tu te tapes des cinq en sport par exemple. Ou quand t’aimerais être crédible ne serait-ce que deux petites minutes. 

— Je sais que t’es déjà passé à autre chose, arrête de faire genre, mec.

Ça c’est Alex qui essaye de se faire pardonner en plein cours de SES. 

— Même si c’était le cas, j’ai quand même le droit de faire la gueule  par principe alors dégage.

Ça c’est moi qui essaye vainement de lui tenir tête en plein cours soporifique de Madame Riondet.

— C’est dur, on est dans le même groupe, mec.

Je regarde Alex, Will, Édith, sagement assis autour de la table. Je lève les yeux au ciel. Je lance une œillade meurtrière vers les quatre Michel au fond de la classe. Et rebelote : levage des yeux au ciel. Alex lève ses sourcils exagérément. On n’est pas du tout expressif ici.

— Pourquoi tu ne rejoins pas tes amis ? Vous pourriez débattre sur mon orientation sexuelle et vous moquer de tout et tout le monde. De toute façon, ce n’est pas comme si tu servais à grand-chose dans notre groupe.

— Colin ! s’indigne Will.

— En fait t’es juste jaloux. Et me sors pas que les gens dans ton genre sont jaloux de rien ni personne. C’est pas grave, Colinou.

— Je ne suis pas jaloux.

— Si.

— Non.

— Si.

— Bon, vous avez fini ?!

Toujours aussi aimable celle-là. De quoi elle se mêle d’abord ? Elle a qu’à retrouver les quatre abrutis, elle-aussi, si on la fait chier.

Attendez, me dites pas que je suis en train de devenir aussi imbuvable qu’Édith?! Je retire ce que je viens de dire. Elle peut bien rester ici si ça lui chante. Rien à foutre.

— Je ne suis pas jaloux, trouduc.

— Alors arrête de bouder comme un gosse, ducon.

— Ce n’est pas à toi de me dire si je dois bouder ou non. Je te rappelle que c’est toi qui lance des débats sur mon orientation sexuelle avec tes nouveaux amis… Dans le fond je m'en fiche, ils peuvent bien user toute leur salive pour moi. Je sais que je suis important pour eux et je les comprends (petite vanne pour détendre l’atmosphère). Mais toi ? Qu’est-ce que tu fous avec eux ? OK, une blague sur douze qu’ils sortent est drôle, parfois ils parlent d’un truc intéressant mais tout le reste tu en fais quoi ?

Spoil alerte : l’atmosphère ne se détend pas du tout.

— Tu vois ! (il me pointe du doigt) C’est exactement ça ! crie-t-il à l’intention de Will avant de se tourner vers moi. Tu crois toujours que t’es le centre du monde. A part toi et ton petit univers parfait, tout le monde est nul. William est trop « pudique », moi je suis trop « gênant », et tous les autres sont trop cons, trop pas ouverts d’esprit, pas assez tolérants. A part les petits personnages parfaits dans ta tête, tu tolères personne, mec. Désolé de te le dire mais t’as rien d’exceptionnel. Arrête de croire que t’es toujours au-dessus des autres. T’es pas mieux qu’eux. 

Par « eux », il entend les quatre Michel. Je le prends très mal. Et encore c’est un euphémisme.

— Alex ! s’indigne Will.

J’encaisse les coups. Je ne pensais pas qu’il me voyait comme ça. Comme un gros con insupportable et totalement imbu de sa personne. Ma foi, libre à lui. Il ne faut jamais remettre en cause son talent. 

— OK. Très bien. Si c’est ce que tu penses…

Je pointe le nez vers ma copie et fais semblant d’être absorbé par les exercices.

— Hum…Euh…Alex, tu as compris l’exercice cinq ? demande Will pour changer de sujet.

Personne ne répond.

— Et toi, Col ?

Silence. 

— On ne va pas rester fâché, hein ? Allez, on passe à autre chose !

Aucune réponse.

— Les gars ?

Je sais bien que je devrais dire quelque chose.
Je sais que dans le fond, je n’en ai rien à faire qu’il débatte avec ses potes à mon sujet. Je sais que ça n’a aucun sens tout ça. 

Je ne comprends pas comment tout a basculé vers les mots durs, vers les mots laids. J’ai perdu le fil. J’ai couru et je me suis perdu.

Maintenant, il y a la colère dans le ventre de mon pote, la peur dans la tête de Willo. Il y a cette fille qui me détaille. De haut en bas. De bas en haut. Il y a toutes leurs émotions qui entrent dans mes entrailles. 

Et puis il y a cette envie, toute petite mais bien là. Cette envie de lui faire payer à ce trouduc. Pour une fois, à défaut d'être fort en sport, j'ai envie de réussir à lui en vouloir, rien qu'un peu, rien qu'un instant.
Il me doit bien ça.

Confessions d'une tapetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant