La description que m'a fait Abby est bien peu précise. Cette femme est le modèle pour chaque fille, ses longues jambes fines, ses courbes délicatement dessinées et sa taille de guêpe pourraient l'emmener comme mannequin chez Louis Vuitton. Ses cheveux d'or encadrent un visage aux traits doux mais expressifs, ses lèvres charnues et rosées vont de pairs avec ses yeux d'un vert profond, où l'on croirait presque voir une mosaïque monochrome.
Abby et moi restons là, au seuil de la porte, contemplant cette beauté naturelle si pure.《 Je peux vous aider ? 》
Sa voix me fait penser à celle de ma mère, douce et rassurante, où chaque mot prend une certaine importance.
Je réfléchis rapidement à la formulation de ma demande.《 On aimerait savoir si vous avez vu une jeune fille aux cheveux châtains, petite, hier vers 19h près de la bibliothèque. 》
Elle nous regarde, gardant toujours un petit sourire qui doit être une habitude.
Abby prend les devants, elle a toujours été plus douée que moi pour expliquer une situation, elle a beaucoup plus de tact.《 Hier, on a vu une jeune fille se faire violenter par un homme. Il y avait trop de monde pour qu'on puisse voir et aider cette fille et on a cru vous voir partir avec elle. Excusez nous si ce n'était pas vo ...
- Oui, je la connaît. 》Elle prends soudain un air grave et nous invite à entrer. Son appartement est à son image, soigné et décoré sobrement, avec une odeur flottante de rose. Elle nous emmène dans son salon, un joli petit coin dans les tons marrons. Sur le buffet traîne quelques objets de ses précédents voyages, une orchidée blanche et un aquarium accueillant des guppys, une sorte de petits poissons colorés amenant un peu de gaieté dans cette atmosphère qui devient pesante.
《 Du thé ? Café ? 》
Devant notre thé à la menthe, Abby et moi écoutons le récit de Jeanne. Son souffle est de plus en plus fort au fur et à mesure qu'elle progresse dans son histoire.
《 ... J'étais parmis la foule quand ça a commencé. Il s'en est pris à elle et a déversé toute sa colère en la frappant, sans que personne n'agisse. Il l'assomait de coups à la tête, aux côtes, elle hurlait. Ses maigres bras ne suffisaient pas à la protéger. Dès que la jeune fille a essayé d'arrêter cette brute, je ...》
Elle me regarde en détaillant ma plaie à l'arcade sourcilière et esquisse un sourire de soulagement. Elle m'a reconnu. Elle devait croire qu'on faisait partie de cette foule de curieux, qui n'ont pas les tripes d'agir, comme moi j'ai cru qu'on s'était trompé de personne en la voyant, elle et sa beauté. Je me disais que toutes les femmes comme elle ne pouvaient que profiter de ce nouveau gouvernement. Mais je sais qu'elle n'est pas ce genre de personne, je le ressens.
Elle nous demande de la suivre et pousse une porte au fond d'un court couloir, donnant sur une chambre. Les stores presque complètement fermés filtrent les rayons du soleil, la pièce est sombre et il y règne une ambiance reposante, rassurante. Les meubles en bois sont disposés contre le mur et en face de la fenêtre, un lit est occupé par une jeune fille, certainement celle d'hier.
Jeanne s'agenouille près du lit et lui prends sa main fragile. Je peux presque voir une larme rouler sur sa joue.《 Elle était seule, face à un homme de deux fois sa taille qui la battait, et personne ... personne n'a réagit ... Sauf toi, une jeune femme qui fait la même taille qu'elle ... On est en train de se transformer en quoi ? Il n'y a plus aucune humanité dans les rues ... 》
Elle arrive à me décrocher une larme.
《 Elle s'est réveillée hier et elle dort depuis. Personne n'est venue la réclamer, pas de famille, d'amis, de professeur, ... personne. 》
J'ai envie de les aider, Jeanne et cette mystérieuse fille. Mais qu'est ce que je peux faire ? Chaque jour, des événements de ce genre arrivent en France, au coeur même des grandes villes, sans que personne le dénonce. Dans ce monde, les coups et les violences sont cachés par de la crème et du fond de teint. Les larmes sèchent sous le mascara, les lèvres enflées se soignent avec du rouge à lèvres et les ongles rongés se réparent avec de faux-ongles vernis.
Si un jour on est frappé ou agressé, on ne vas pas être pris en charge pour victime de violences mais pour être auteur de délit et de désobéissance, parce que nos hématomes et nos plaies seront un crime envers la beauté de l'humain. C'est ce que Jeanne nous explique à travers ses mots, ce qui me révolte, ce qui ne changera pas.
Mais j'ai justement envie d'essayer de changer ce monde basé sur des fondements ridicules et superficiels. Je ne veux plus de ce système.Je pose ma main sur l'épaule de Jeanne et m'agenouille à côté d'elle.
《 Je veux vous aider. 》
Abby me rejoins et nous restons là quelques minutes avant de retourner au salon. Jeanne nous donne son numéro et nous écrit son adresse complète sur un petit papier.
《 Je vous appelle si jamais elle se réveille 》
On lui donne nos numéros également et sortons de l'appartement. Elle me regarde longuement avant de me remercier encore une fois pour mon intervention d'hier, ainsi que pour être venue la chercher. Cette femme que je ne connaissais pas il y a une demi heure m'apparaît maintenant comme une soeur, une personne de confiance qui a les mêmes objectifs, les mêmes combats. Je m'attache peut être trop rapidement aux gens.
***
On descends dans la petite cour du lotissement. Abby semble aussi remuée que moi après cette visite et on décide de rejoindre un parc pour changer d'air.
Les balançoires grincent sous les rires des enfants, des chansons que j'avais moi même apprises en maternelle flottent dans l'air si doux de la fin de l'été, des petites filles font voler leurs jupes telles des princesses en tournant. Il y a ici un mélange de pureté et d'innocence qui me fait oublier un court instant les problèmes de la vie, de ce pays.
Au fond, c'est peut être moi qui ai un problème. Pourquoi je ne suis pas tout simplement les règles qui sont imposées sans me poser de questions ? Pourquoi je ne fais pas comme ces enfants, ignorer ce qu'il se passe chez les autres pour vivre ma vie ?《 La lâcheté 》
Abby a prononcé ce mot comme si elle avait entendu mes pensées et mes doutes. De la lâcheté. C'est tout ce que c'est, tout ce que l'on trouve maintenant. Des lâches, y compris moi, qui abandonnent les autres et eux mêmes pour suivre des règles ou des idées sorties de l'imagination d'un fou qui trouve dans son métier une solution à ses complexes. C'est le principe même du mouton, suivant sans réfléchir le berger qui l'emmène où il veut.
Je regarde mon amie, elle a l'air heureuse et épanouie. Elle a toujours réussi à trouver des points positifs même dans les situations les plus critiques, et je l'envie, je l'admire pour ça.On se lève enfin pour rentrer chez nous, lorsque mon téléphone sonne. J'écoute le début de la douce musique que j'ai définie comme sonnerie avant de décrocher, les yeux d'Abby pendus à mon visage, guettant la moindre expression.
Jeanne m'annonce la nouvelle qu'on attendait, le réveil de la jeune fille.
Abby me prends la main et, sans que j'ai le temps de ranger mon portable, m'entraîne vers l'appartement qu'on a quitté il y a à peine un quart d'heure.
On se retrouve essoufflées dans la petite chambre aux côtés de Jeanne, qui a amené un verre de jus de fruit pour la victime d'hier. Elle boit doucement en nous détaillant de la tête aux pieds, avec un mélange de méfiance et de curiosité dans ses yeux encore bouffis par le sommeil et les coups de la veille.
Jeanne la rassure.《 Ces jeunes femmes ne te veulent pas de mal, elle t'a même sauvé la vie, si on peut dire ... 》
Sa voix rassurante a un effet décontractant sur la jeune fille qui parvient même à prononcer quelques mots.
《 Mer... Merci.》
Je m'approche d'elle pendant que Jeanne me donne quelques informations. Elle a 15 ans et elle s'appelle Marlisa. Abby aide Jeanne à prendre des compresses et du désinfectant pour la soigner.
《 Moi c'est Alessia, et mon amie c'est Abby. Tu vas mieux ? 》
Elle acquiese et nous regarde, perdue. Je décide de partir rejoindre ma mère, je reviendrais demain avant les cours et nous ferons mieux connaissance. Je sais qu'elle est en sécurité et ne manque de rien grâce à Jeanne.
Abby vient avec moi et nous rentrons en marchant le long des boutiques.
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Couleur mortelle [Réécriture]
Genel KurguLa société n'est plus ce qu'elle était. Votre vie ne tient plus qu'à un cheveu, une couleur cuivrée, une couleur mortelle. Le monde se construit désormais sur la beauté, le physique ayant prit le pas sur la Raison. 《 Que votre beauté illumine l'aven...