Chapitre 18

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Ai-je vraiment besoin de préciser que deux jours de plus se sont écoulés sans que je n'aie recontacté Tristan ? Je me désespère moi-même. Il m'a envoyé des messages, autrement dit, il m'a tendu des perches. Ben m'a appelé cinq fois durant ces quarante-huit heures, perplexe de constater que son cousin et son meilleur ami agissaient tous deux bizarrement. J'ai esquivé, l'ai rassuré tant bien que mal en détournant nos conversations.

À chaque fois qu'un message de Tristan apparaissait sur l'écran, tout mon corps et toute mon âme aspiraient à ce que je lui réponde, ça me démangeait, mais j'ai résisté, dévié mon attention de ses textos et retourné à mes révisions. Surtout que j'associe désormais mon portable à ce que nous avons fait, au désir qu'il a fait renaître en moi. Je ne peux plus le prendre entre mes mains sans y repenser. 

Je ne me sens pas prêt à affronter une discussion entre lui et moi. Au téléphone, nous nous sommes dit des choses que je n'attendais plus, des mots que j'espérais depuis si longtemps et je ne parviens toujours pas à y croire, à profiter pleinement de ce bonheur, car j'ai trop peur qu'il s'envole d'une seconde à l'autre. Tristan a débloqué une situation douloureuse, en plus d'avoir littéralement libéré mon corps des barrières que je m'étais imposé. 

Hier soir, je me suis surpris à ressasser tout notre appel vidéo, à me souvenir de chacune de nos phrases, elles sonnent toutes si bien, trop bien. J'ai du mal à ne pas rejeter certains passages, dont le dernier, celui qui me gêne le plus et qui m'empêche de lui répondre. La semaine dernière, je m'imaginais presque incapable de partager le moindre désir avec qui que ce soit, répugné par...moi-même ? par Tom ? Je ne sais pas. En tout cas, je n'avais pas prévu que tout changerait aussi vite et avec une telle intensité. Je ne le regrette pas, mais je ne jubile pas non plus. 

C'est un énième message qui chamboule tout. Une fois de plus.

Au milieu d'une formidable traduction – notez l'ironie –, mon portable vibre. Je termine ma phrase, grimace à la difficulté de ce texte et approche distraitement l'écran sur ma table basse. J'y jette un bref coup d'œil, discernant le nom de Ben. Je ne réagis pas sur le coup, mais sursaute en me rendant compte de ce que je viens de lire.

Ben : Urgence ! Viens tout de suite chez moi ! 

Mon meilleur ami et moi, nous nous sommes mis d'accord sur un mot impératif, un mot qui nous indiquerait l'importance, le sérieux ou la gravité du message. Urgence. Je ne réfléchis pas, bondis et cours dans tous les sens, en quête de mes affaires et d'une veste. Je suis mal habillé, un pantalon vieux et déchiré à la cuisse et un col-roulé gris uniforme. J'enfile ma paire de basket à la va-vite, attrape mon manteau long et me rue hors de mon appartement, me souvenant à la dernière minute de refermer à mon passage.  

Je décide de prendre le tramway, à cinq minutes plus loin de mon arrêt de bus, mais plus rapide. Il me faut fournir de lourds efforts pour ne pas sautiller dans le transport en commun, ni me ronger les ongles. J'envoie immédiatement un message à Ben pour le prévenir que j'arrive et tente de l'appeler, en vain. 

Dans mon esprit, valsent plusieurs hypothèses. Ses parents ? Ses révisions ? Sébastien ? S'est-il blessé ? Je supporte difficilement l'ignorance et finis par faire craquer mes doigts pour me détendre, des bruits qui en agace plus d'un autour de moi. 

En descendant du tramway, je me mets à sprinter vers sa maison, me fichant éperdument de revoir Tristan dans ces circonstances. La dernière fois qu'une crise a éclaté, Ben revenait de son coming-out et ne m'avait envoyé aucun message. Je suis quelque peu rassuré qu'il soit dans un état assez correct et lucide pour m'avertir. 

Devant sa porte, je toque à cinq ou six reprises et appuie sur la sonnette par réflexe. Mes pensées dérivent et inventent toute sorte d'hypothèses, je prépare une phrase réconfortante pour chaque idée farfelue qui me passe par la tête. Et puis, le battant s'ouvre sur Tristan. Je bloque sur son jeans qui lui moule les cuisses, sur son pull qui laisse entrevoir ses pectoraux et...

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