Chapitre 5

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À cause d'un retard de quarante-cinq interminables minutes, mon train part de Paris bien plus tard que prévu. Pendant cette longue attente, je n'ai eu de cesse de harceler Ben de messages et d'appels. Il n'a répondu à rien. J'ai essayé de relativiser, me répétant qu'il devait forcément vivre un moment privilégié avec ses parents et que mes textos le dérangeaient. 

Entre Paris et Avignon, il faut compter environ trois heures. Trois heures de torture pure. À l'approche d'Orange, il commence à pleuvoir de plus en plus. Ma raison m'urge de rentrer à mon appartement, à l'abri de la pluie, bien au chaud et d'attendre de ses nouvelles. Mon cœur, qui vise juste la plupart du temps, m'ordonne de le trouver. Un terrible pressentiment m'assaille. J'en oublie mes au revoir larmoyants avec mes parents, ainsi que toute la bonne humeur accumulée durant cette journée des plus extraordinaires. 

À la seconde où le train ralentit, je me lève d'un bond, saute les deux marches et cours à travers le quai et jusqu'à l'arrêt de bus. Plus j'y pense et plus les paroles blessantes de ses parents me reviennent à l'esprit. Ils sont foncièrement différents des miens ou des Beaumanoir. Le couple Dubos déteste les homosexuels, des erreurs de la nature. Toutes leurs critiques et leurs insultes à moitié déguisées me submergent et une angoisse me serre l'estomac à l'idée que Ben les ait affrontés sans soutien. Je lui ai pourtant conseillé de s'y rendre avec Tristan, mais il a insisté pour se confier seul. 

Est-ce mon poing qui tambourine contre la porte ou mon palpitant dans mon torse ? Je l'ignore. Je fais preuve d'autant de patience que possible devant la maison de mon meilleur ami, c'est-à-dire que je tourne en rond sur le perron ; la lumière de sa chambre est allumée, il est donc revenu. Le battant s'ouvre enfin sur un Tristan à la mine lugubre. En me découvrant, il feint tout de suite un sourire sans réussir à me tromper. 

— Je suis en mission « réparer le moral brisé de mon best friend ». Sur une échelle de un à dix, à quel niveau de chagrin sommes-nous ?

 Tristan hésite et finit par lâcher :

 — Zéro. Il ne s'agit pas de chagrin, Lou. Ce serait plutôt, à quel niveau de rage sommes-nous ?

— Ah oui, de rage, carrément !

— Entre, ne reste pas dehors, tu vas attraper la mort.

Effectivement, je suis trempé de la tête aux pieds, grelottant. La chaleur de leur maison me réchauffe aussitôt.

— Je vais te chercher une serviette.

— Pas le temps ! Ben passe en premier. Je suppose qu'il est dans sa chambre.

— Tu comprendras vite ce que j'entends par rage.

Son ton mystérieux ne me dit rien qui vaille. J'acquiesce néanmoins et grimpe les escaliers deux à deux. Mettons-nous au travail ! Toutefois, je déchante en un battement de cils. Dans le couloir de l'étage, un cadre photo jonche le sol, éclaté en fragments de verre. L'image est déchirée. Je n'ai pas besoin de la reconstituer pour l'identifier. Elle représentait Benjamin et ses parents de part et d'autre de lui, lors d'une visite à un parc d'attraction. Ils souriaient, heureux. Un souvenir de leur passé qu'il avait détruit en plusieurs morceaux éparpillés. Tristan se glisse dans mon dos.

— Je n'ai pas eu l'occasion de nettoyer, pardon. Ne te blesse pas. 

Je devine sans mal pourquoi il n'a pu nettoyer. Sûrement veillait-il sur Ben avant que je ne débarque. Je le laisse avec sa pelle, esquive les débris et toque à la porte fermement close. Tout à coup, un éclat de voix rageur me parvient :

— Je ne les appellerai pas ! Ils peuvent aller se faire voir, et toi avec !

D'accord. Ce niveau-là de rage. Je déduis que le toi ne m'est pas dédié, au contraire de Tristan qui soupire bruyamment. Pourquoi Ben s'en prendrait-il à son cousin ?

Sunshine ProtectorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant