XXXVIII.

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***Monia BABAS, janvier***

   Retour à l’école pour moi, je n’en pouvais plus d’être à la maison et de supporter les humeurs des parents. Ils font comme si une grossesse était la fin du monde. Je connais beaucoup de filles qui ont accouché avant leur bac mais qui poursuivent leurs études. On fait trop comme si j’avais commis un crime. Après tout c’est mon corps, c’est ma vie. Même si mon avenir est gâché, ça regarde qui ? C’est l’avenir de qui ? A un moment donné. Vous êtes déçus, j’ai compris c’est bon.

De l’autre côté, je n’ai mais vraiment aucune nouvelle de Lucas et sa famille. Le beau-frère de Lucas est venu à la maison avec Mayite venir dire qu’ils vont faire leur part. Lucas va reconnaître l’enfant mais il n’a rien dit sur les conditions de vie de l’enfant. Est-ce qu’ils vont me construire le studio ou juste refaire ma chambre ? Et même là, j’aurai besoin d’une vraie douche. J’aurai besoin d’un climatiseur. Est-ce qu’ils vont me donner à manger, car le bébé doit être nourri.

Toute la semaine je fais une liste de ce que je veux. Personne à l’école ne sait que je suis enceinte, même pas ma meilleure amie. Je fais la liste de mon trousseau en fonction de ce que j’ai vu chez Analia, mon bébé sera trop stylé (rire) et trop beau comme ses parents. J’ai hâte d’être à samedi et d’aller rencontrer Mayite. Trop hâte !

A la maison je ne reste que dans ma chambre, j’évite les gens. Dès que tu fais tomber la fourchette « quand c’est pour écarter les cuisses tu n’es pas distraite », je suis fatiguée. Physiquement ça va et ça m’énerve. Analia était tout le temps fatiguée, toujours faible et sa belle-mère était aux petits oignons. Moi rien, parfois des nausées le matin sinon rien.

- MONIAAAAA !
- Maman ?
- Fian fian ! Viens ici là !

Je tchipe, râle, tape des pieds, mais si je ne sors pas de cette chambre pour aller à sa rencontre, une bonne bastille m’attend. Je tire les pieds jusqu’au couloir et là j’entends :

- Tire bien les pieds que je te flanque quelque chose quand tu arrives ici. M’bécile ! Quand c’est chez les hommes là tu sais soulever les pieds.

Je marche normalement et vais me mettre devant elle. J’ai hâte d’avoir un gros ventre et devenir intouchable pour bien lui rendre ce qu’elle me fait. Tchip !

- Je dis hein, c’est la mère de ton père ou le père de ton père qui doit faire la vaisselle dans cette maison pendant que tu dors ?
- …
- Tu me réponds ! Tu crois que comme tu es enceinte tu es exempte des tâches ménagères ?
- Non.
- Mbinrk ! Dépêche-toi ! Tu vas d’abord m’acheter le manioc obamba aux Charbonnages, après tu viens me nettoyer ma cuisine qu’elle brille à mon retour. Tu balaies la maison et ne m’oublies pas le linge à la corde. Je suis chez maman Pau.
- Oui.

Elle me donne les sous pour le manioc puis s’en va chez sa copine. Je me contente de faire la vaisselle et enlever son linge à mon retour des Charbonnages. Si elle me demande pourquoi je n’ai pas fait le reste, je lui répondrai que je ne me sentais pas bien. Je prie vraiment que samedi Mayite me dise quelque chose de bien. Je finis, je mange et je vais m’allonger. Un abè (grosse gifle) au dos me sort précipitamment de mon sommeil.

- Je ne t’ai pas demandé de me nettoyer la maison avant de partir.

Oh Seigneur ! Jusqu’à quand ? Jusqu’à quand ? Je suis enceinte mais elle n’arrête pas de me mettre des coups. C’est comment ? Je pleure sur le lit le dos plié.

- Lève-toi de là ! Quand tu as décidé de suivre les hommes, qui va venir te tenir le foyer ? Lève-toi avant que je ne m’énerve !

Je quitte la chambre en larmes. Papa est au salon et mon état ne l’affecte pas. Pourtant quand c’était Analia on lui disait qu’une femme enceinte ne pleure pas. J’en ai marre, je veux me tirer de cette maison, j’en ai vraiment marre.

- Essaie de tripler la cinquième, essais seulement ! Si l’année prochaine moi je dépense mon argent pour te payer les fournitures, c’est que je ne suis pas l’enfant de mes parents. Tu rentres de l’école Madame va dormir. Moyenne du premier trimestre : huit, quatre-vingt-treize. Une redoublante. Mais les choses du lit là c’est vingt sur vingt, championne du Gabon.

Jusqu’à ce que je finisse de nettoyer, elle n’arrête pas. Je suis opprimée, persécutée. Je ne cesse de pleurer avec l’envie de partir d’ici, partir loin. Lorsque je termine, je vais rester avec ma copine du quartier sous le manguier. Je n’en peux plus. Je suis la première à faire l’enfant au lycée ? Les plus jeunes parents du monde n’ont-ils pas neuf et dix ans ? C’est comment l’acharnement sur moi ? La plus jeune maman de tous les temps avait quel âge ? C’est pas cinq ans ? Je ne peux plus respirer parce que je suis enceinte, c’est comment ?

- Tu n’as pas peur ? me demande ma copine.
- De quoi ?
- Mais de devenir maman. Tu vas faire comment pour aller à l’école ?
- Le père va me prendre une nounou.
- Il t’a appelée ?
- Toujours pas, je soupire.

Je ne dure pas dehors même si je suis devant la maison de peur de me faire encore insulter. Je rentre et vais dans la chambre, c’est la faim qui me fait ressortir. Et toute la semaine c’est ainsi que je subis. Le vendredi je croise Lucas au Cécado avec sa copine tout sourire. Il passe devant moi comme s’il ne me connaissait pas et sa copine se moque de moi. C’est trop difficile, j’ai mal. Lucas ne m’a jamais promis le mariage, il ne m’a jamais dit qu’il m’aime, mais on est resté ensemble longtemps. Avec la pression que j’ai à la maison, plus le comportement de Lucas, j’ai vraiment le moral à zéro. Les choses ne se passent pas comme je l’avais espéré.

Le samedi je vais chez Lucas pour rencontrer sa sœur. Je n’ai pas annoncé ma venue mais je dois lui parler. Je la trouve avec un garçon et de ce que j’entends, il veut qu’elle lui paie une formation professionnelle. Elle le menace tellement que ça me refroidit moi-même

- Je travaille dure mon argent tous les jours de lundi à vendredi, parfois même le samedi. Je me lève à 5h et me couche à 22h tous les jours pour gagner ma vie. Pourtant je ne me fais pas plaisir, même pour m’offrir un restaurant je réfléchis à deux fois. Ne pense pas que je vais te donner mon argent et tu vas jouer avec ça.
- Non ya Mayite.
- Dis bien non. L’argent de l’autre est toujours sucré.
- Ya Mayite je suis sérieux, je ne vais pas te décevoir.
- Me décevoir ? Tu penses que si tu joues avec ton avenir tu me décevras ? Je m’en fiche je te le dis clairement. Le mien d’avenir je le construis, celui de mon fils avec. Tu penses que si demain après avoir fait la fête tu es incapable de te nourrir ça va m’empêcher de respirer ? Pas le moins du monde. Je ne suis pas de ces grandes sœurs qui donnent le poisson, je te donne les moyens de devenir un excellent pêcheurs, à toi selon la volonté de Dieu de mettre du poisson dans ton filet. Sinon que tu manges ou pas, ça ne m’empêchera pas de dormir. Tu blagues avec ta formation je me lave définitivement les mains sur toi et tu peux me croire lorsque je te dis que même un franc tu n’obtiendras plus jamais de moi. Tu veux parier ?
- Non.

Elle ne crie pas, mais même moi je sens de là où je suis qu’elle tiendra sa promesse. Ça m’oblige à repenser à ce que je dois lui dire, et surtout comment je dois lui dire. Quand elle finit avec le garçon, il s’en va et elle me demande de venir la retrouver sur la table à manger. Entre temps Lucas lui apporte son bébé. Il passe comme si je n’étais pas là, donne l’enfant à sa sœur et veut retourner.

- Tu vas où ? Tu ne vois pas ton invitée ? Assieds-toi là !

Il s’assoit avec humeur.

- Oui Monia, je t’écoute.
- Je voulais savoir quand est-ce que je pourrais commencer mes visites.
- Tu es assurée CNAMGS ?
- Non.
- Ah ! Il faut le faire pour être prise en charge à cent pour cent.
- La maternité n’est pas gratuite pour les moins de dix-huit ans.
- Oui, c’est vrai. Bah, je ne sais pas. Tu veux te faire suivre où ?
- A la clinique OYE.

Elle regarde Lucas.

- Sans assurance, il faut compter au moins deux millions pour le suivi et l’accouchement. Et là c’est si c’est un accouchement sans complication. Après il y a les ordonnances et le trousseau. Tu peux assumer la clinique OYE ?
- Quand on veut accoucher en clinique on attend d’avoir un travail, si elle ne veut pas aller à l’hôpital général qu’elle aille accoucher derrière un bananier au village.

Elle l’avertit du regard une première fois.

- Tes parents sont prêts à mettre combien ?
- Ils disent qu’ils ne donnent rien.
- Ah ! Il faut voir avoir Lucas comment vous allez faire alors.

« Vous » qui ? Je vais trouver l’argent où ? Et qui va aller accoucher à l’hôpital général où même le coton on détourne. Un hôpital de la mafia comme ça ! Jamais !

- Sinon ça se passe bien ? Tu vas bien ?
- C’est compliqué à cause des conditions dans lesquelles je vis. Parfois on n’a pas à manger, parfois j’ai des envies, ou parfois je dois dormir dans le noir avec les moustiques.
- Maintenant tu viens dire ça ici pourquoi ? Lucas s’énerve. On s’en fout, tu faisais comment avant ? Tu vois Mayite, tu vois quand je te disais qu’elle veut m’excroquer ?
- Je réponds à ses questions.
- On s’en fout ! Tu n’as pas à manger, qui va te nourrir ? Tu ne peux pas te nourrir mais tu vas chercher une autre bouche.
- Lucas ça suffit !
- Je peux y aller ?

Sa sœur le regarde et il quitte la table. Je me mets à pleurer en expliquant tout le stresse que je vis depuis que mes parents savent que je suis enceinte. Lucas n’aide pas et je ne manque pas de lui dire qu’il a une nouvelle copine. Je vois qu’elle n’apprécie pas mais elle ne dit rien. Je lui dresse la liste des choses dont j’aurai besoin et :

- Monia ce n’est pas à moi que tu dois dire tout ça. Cette grossesse ne verra pas mon cinq francs. Tu vas discuter avec Lucas et ensemble vous mettre d’accord sur les conditions pour accueillir votre enfant. Je suis la tante, tout ce que je peux faire c’est un petit cadeau, un geste de temps en temps.
- Oh ! je fais choquée.
- On ne fait pas un enfant en comptant sur la poche des gens. Moi-même j’ai un enfant dont je dois assurer l’avenir. Donc va trouver Lucas et tu lui expliques ce que tu viens de me dire là.

Je suis déçue et je sens qu’elle pense ce qu’elle dit. Elle ne me donnera rien. Timidement je quitte la table pour la chambre de Lucas. Il est sur son lit en train d’envoyer des messages. J’entre et m’assois sur son bureau.

- Ta sœur a dit que je viens te voir pour qu’on s’organise pour les dépenses.
- Je n’ai pas d’argent, je ne travaille pas.
- Donc on fait comment ?
- …
- Lucas ?
- Ne me fais pas chier ! Si ça ne tenait qu’à moi, je n’allais même pas reconnaître ton bâtard que je déteste du plus profond de mon être. Le trousseau de mon neveu est encore là, tu peux te servir. L’hôpital, je t’ai déjà dit. Tu ne veux pas j’en ai rien à foutre. Les médicaments tu envoies les ordonnances et pour manger je ne suis pas ton père pour te nourrir.
- Pourquoi tu fais ça Lucas ?
- Parce que je t’ai dit que je ne veux pas de cet enfant, parce que tu as fait exprès. A cause de toi je n’ai plus d’argent de poche et je vais changer d’école. Je te hais tu n’as même pas idée. Ton bâtard aura mon nom mais je ne vais jamais l’aimer. Je ne veux plus que tu viennes ici, je t’ai débloquée donc si tu veux quelque chose appelle. Je ne veux plus que tu essaies de contacter ma sœur. Je ne veux plus te voir, je t’enverrai les sous que je pourrais mais tu restes loin de moi. J’ai averti ma sœur et je peux aller le dire à tes parents si tu veux. Ne viens plus jamais chez moi.
- Lucas ? C’est ce que tu me dis aujourd’hui ?
- Un homme averti en vaut mille. Tu peux t’en aller.

J’ai mal, extrêmement mal. Il a fini de me coucher et maintenant il me parle ainsi. Je sors de la chambre pour le dire à Mayite mais c’est son beau-frère que je trouve au salon. Mayite s’occupe de l’enfant. Je dis donc à Ryan ce que Lucas m’a dit.

- Est-ce que c’est vrai que tu lui as fait croire que tu prenais la pilule ?
- Je prenais la pilule.
- Tu me mens ?
- Non, je réponds apeurée.
- Quel médecin va accepter de prescrire une pilule contraceptive à une gamine de treize ans ? Quel pharmacien va te servir une pilule contraceptive sans ordonnance ?
- …
- Tu as voulu un enfant, tu l’as. Si Lucas t’a demandé de ne plus venir ici, tu ne viens plus ici. On fera ce qu’on peut pour l’enfant et Lucas le reconnaîtra, mais tu le laisses tranquille. On est d’accord ?
- Oui.
- Mayite t’a fait un panier de course. C’est dans la cuisine, tu as maintenant à manger.

Je vais prendre le panier. Il est lourd, il y a pas mal de choses à l’intérieur mais rien de ce que je voulais. Que des choses que je connais et que mes parents peuvent acheter. Je suis déçue et commence à regretter d’avoir pris cette grossesse.

Je prends le panier et sors de la cuisine avec. Tout le monde est dans le salon. Mayite ordonne à Lucas de m’aider avec le panier qui est assez lourd. Il se lève, me prend le panier et sort de la maison. Je remercie Mayite pour la nourriture et dis au revoir. Lucas a simplement déposé le panier devant le portail au lieu de m’accompagner sur la grande route où j’ai plus de chance d’avoir un taxi.

- Lucas pourquoi tu me fais ça ? je demande en pleurant.
- A dieu !

Il me claque le portail et retourne à l’intérieur.

***Lucas ADIMANGOYI***

   Cette histoire me met hors de moi, j’ai envie de buter quelqu’un. En ce moment je me fais tout petit et donne le meilleur de moi à l’école pour que Mayite ne me change pas d’école. Je sais que Ryan me soutient mais je dois y mettre du mien. Déjà que je n’ai plus droit qu’à l’argent du taxi pour rentrer à la maison après les cours. Noël est passé et je n’ai rien reçu. Je ne reçois absolument plus rien de Mayite sauf si je mens que Monia a besoin de quelque chose, là elle me donne l’argent sans discuter. Argent défalqué dans ma scolarité suivante. Je ne peux plus inviter Jahia manger, sortir ou lui faire des petits cadeaux à moins de mentir. Je maudis le jour où j’ai rencontré cette Monia.

Monia c’était juste pour les vacances, le temps que Jahia rentre de voyage, ensuite on a continué parce qu’elle était à côté et toujours dispo sinon je n’avais aucune intention sérieuse avec elle. Jahia c’est ma copine que tout le monde connaît, on se connait depuis la 6e mais ça ne fait que deux ans qu’on est en couple. Je suis trop amoureux d’elle, j’espère vivre avec elle la même histoire que Mayite et Ryan. Seulement elle ne couche pas encore. Je lui ai dit que Monia c’était une seule fois pendant les vacances et qu’elle voulait me piéger car elle vient d’une famille pauvre. J’ai ramé pendant un mois avec l’aide de ses copines et mes potes pour la récupérer.

Ryan et Rapha connaissent Jahia et l’ont validée. Ils comprennent ma position, surtout Ryan qui est déjà passé par là. Il m’a simplement grondé parce que j’ai arrêté de me préserver. C’est Mayite qui complique tout. C’est elle qui veut me forcer à reconnaître l’enfant là. Je vais dire quoi à Jahia ?

Je rentre dans la maison et aussitôt Mayite m’ordonne de m’assoir.

- La façon dont tu traites Monia, tu aurais aimé que quelqu’un me traite ainsi ?

En quoi c’est pareil ? En quoi Monia et Mayite c’est pareil ? C’est pour ça que dès le début de cette histoire j’ai préféré que ça soit Ryan qui gère. C’est un mec donc il me comprend mieux, mais aussi il est lui aussi passé par là de ce qu’il m’a expliqué. Je ne réponds pas car actuellement je dois me faire petit.

- Depuis le début je te pose une question, si c’était une maladie tu aurais aussi dit que tu n’en veux pas et c’est tout ? Tu veux reproduire le même schéma que Stéphane ?
- Non.
- Cet enfant est innocent, il n’a pas demandé à naître, c’est vous qui êtes allés le chercher alors tu vas prendre tes responsabilités.
- Je vais déjà le reconnaitre non ?
- Tu vas passer du temps avec, t’impliquer dans son éducation. Tu vas être un père pour lui.

Ça seulement je ne peux pas. C’est vraiment au-dessus de mes forces car cet enfant je le hais bien avant même qu’il ne vienne au monde. Je n’en veux pas, ni aujourd’hui, ni demain. Je garde cette pensée pour moi car je ne veux pas aggraver ma situation. Je la laisse parler. Ryan connait mon avis, il va gérer sa go. Elle finit et je retourne dans ma chambre.

Jahia m’appelle. Je lui explique la situation, à savoir que ma sœur m’a obligé à reconnaitre la grossesse et elle rentre dans une colère noire au point de me bloquer. Franchement avec tout ce que j’ai à gérer actu, qu’elle fasse comme elle veut.

Je fais mes exos de maths puis j’appelle Ryan venir regarder et m’expliquer ce que je ne comprends pas. Il veut bien m’aider à convaincre Mayite de ne pas me changer d’école mais si après mon comportement ne suit pas, bah c’est mort. J’ai juste envie d’avoir mon bac et me casser d’ici.

***Février***

   Jahia m’a plaqué il y a une semaine à cause de cette histoire de grossesse. Je ne m’en remets pas, j’aime trop cette fille. Ça fait une semaine que je lui coure après, que je lui demande pardon, mais elle ne vient rien entendre. Demain c’est la Saint-Valentin et je veux lui offrir un petit cadeau, raison pour laquelle je vais voir Mayite et lui demande des sous pour « une ordonnance de Monia », elle me fixe plusieurs seconds sans rien dire puis me demande d’aller chercher son sac. Je le lui apporte et elle me remet la somme exacte que je lui demande. Elle ne vérifie jamais auprès de Monia si je donne l’argent ou pas.

- Lucas, m’appelle-t-elle alors que j’avais déjà tourné mes talons.
- Oui.
- Tu sais que cet argent, ton argent ne vient pas d’une source intarissable ?
- Ça veut dire ?
- Ça veut dire que pour le moment on en est à l’argent de ta scolarité pré-bac, lorsque cet argent sera épuisé, on puisera dans l’argent de ta scolarité post-bac. Joue bien avec ton argent, tu iras à l’UOB après ton bac. Je te l’ai dit, même un franc tu n’auras pas de moi.

J’ai envie de cogner contre le mur. En larmes je lui demande :

- Je peux aller à l’internat l’année prochaine ?
- Faire quoi ? Et qui va gérer les situations d’urgence avec ton enfant quand tu seras là-bas ? Moi Mayite ? Tu vas aller à l’école le matin et rentrer le soir comme tout le monde.

C’est trop pour moi. Pour la première fois depuis le début de cette histoire je craque. Je lui dis le fond de ma pensée en pleurant. Cette histoire est en train de me gâcher ma relation et maintenant ma vie. Jusqu’à quand ? Jusqu’où ? J’ai fait ce qu’on m’a demandé de faire, ce n’est pas suffisant ? A la fin de mon monologue je suis essoufflé mais ça m’a fait du bien. Mayite me regarde toujours silencieusement.

- Tu as fini Lucas ?
- Snif !
- Tu n’as pas encore bien crié et pleuré. Le plus dur arrive ne t’inquiète pas. Comme je te l’ai dit, bienvenu dans le monde des adultes.

Elle tourne sans visage vers la télé ce qui veut dire qu’elle en a fini avec moi. J’ai tellement la rage, il faut que ça sorte. Il faut que j’évacue.

- Je peux aller au terrain de basket ?
- Non !

Deux putains d’années à tenir encore ici. Deux années ça va être long.

***Monia, Avril***

   Cette grossesse évolue, six mois et toujours rien. Mayite campe sur ses positions et ne donne rien. Pour que Lucas aussi me donne l’argent des visites c’est compliqué. Il veut que j’aille au CHUL mais je refuse. Qui va aller faire la queue et les tracasseries de l’hôpital public ? Du coup je ne fais pas de visite. Je ne sais pas si le bébé va bien, si je vais bien, mais je ne dois pas céder sinon il prendra goût. Je veux aller à la clinique OYE.

Par contre depuis quelques jours je suis beaucoup fatiguée, faible. C’est l’une des raisons pour laquelle je ne vais plus à l’école. Ça et le fait que j’étais devenue la bête de foire de l’établissement. Les professeurs, surveillants, élèves, tout le monde se donnaient le droit de parler de ma vie, de me juger. J’ai arrêté d’y aller, je reprendrai l’année prochaine.

Je suis dans mon lit quand Analia entre dans ma chambre. Elle pose sa main sur mon front et me demande comment je me sens. Je suis fatiguée, comme si je n’ai plus de force. Elle ressort de la chambre et va trouver maman au salon. Je peux aisément entendre toute leur conversation.

- Mais maman Monia ça ne va pas.
- Elle n’a qu’à appeler le père de l’enfant ils vont à l’hôpital.
- Maman !
- Analia pardon ! Vraiment pardon ! J’ai dit que la grossesse là je serre le cœur. Quand je parlais ici, on trouvait que je parle trop. J’ai parlé, conseillé, frappé, Monia a tenu mordicus qu’elle doit me montrer, je suis maintenant assise pour regarder.
- Maman elle ne va pas bien.
- Mon problème est où ? s’énerve maman, je dois faire quoi ? Ou bien je me suicide une bonne fois pour avoir la paix ?
- …
- Mes parents sont encore vivants, allez leur demander si j’étais un enfant à problème. J’ai fait tous mes enfants avec mon mari, on s’est débrouillé avec nos petits moyens. Monia ne va pas me dépasser ! Elle ne va pas bien, comment peut-elle aller bien quand elle ne fait pas de visites ?
- Oh !
- Ne dis plus « Oh ! ». Madame a décidé de ne plus aller en cours.
- Comment ça ?
- Mais va lui demander, je parle elle entend. De toutes les façons elle veut aller à l’école que qui va laisser son travail pour s’occuper de son enfant ? Elle a dit qu’elle aura la nounou, j’attends de voir ça avec mes deux gros yeux. Tu parles à quelqu’un elle a réponse à tout. Insolente depuis que le ventre est sorti et que je ne peux plus la frapper.
- Je ne savais pas tout ça.
- Il faut savoir. La grossesse là elle va se démerder parce que je ne compte pas l’aider. Ni physiquement, ni financièrement. J’attends de voir ce qu’elle veut trop me montrer.
- Oui mais c’est dangereux, elle peut mourir.
- Alors j’aurai la paix parce que j’en ai marre de cet enfant ! Marre ! A treize ans seulement elle veut monter sur la tête de tout le monde. Si je ne suis pas ferme avec cette grossesse, d’ici deux ans elle ramène une autre. C’est moi qui ai accouché Monia je sais de quoi je parle. Si tu as pitié emmène-la à l’hôpital. Moi je ne bouge pas de ma chaise. Ma série a commencé, quitte devant la télé.

Ma sœur revient dans la chambre me demander de m’apprêter pour qu’on aille à l’hôpital. Je puise la dernière énergie en moi pour quitter le lit et la suivre. J’ai une vieille robe sur le corps et les cheveux en pagaille mais c’est vraiment le cadet de mes soucis. Analia m’achète une bouteille de coca car elle pense que c’est la faim puis elle arrête un taxi en direction du CHU d’Owendo. Peut-être que c’est lié à l’heure, mais je suis rapidement prise en charge. Je ne sais pas si c’est l’infirmière ou une sage-femme ou un Docteur, en tout cas la femme qui m’accueille demande mes papiers et ce qui nous emmène.

- Elle est enceinte et depuis un moment elle ne se sent pas bien.
- Hum ! Carnet.
- Elle n’a pas.
- Voilà, après c’est pour dire qu’on vous parle mal. Voilà ! Qui te suit ?
- Elle, Analia veut répondre.
- Elle ne parle pas ? Quand c’est pour sucer les bangalas la bouche peut s’ouvrir. Une petite fille comme toi, que pour donner la tension aux parents.

Je n’ai pas la force de lui répondre.

- Qui te suit ? elle gronde plus fort.
- Personne.
- Tu as combien de semaines ?
- 6 mois.

Elle raconte d’abord sa vie avant de me prendre en charge. Honnêtement, c’est parce que je ne suis pas bien. J’en ai marre que tout le monde se donne le droit de parler de ma vie. Je suis enceinte à treize ans et ???

Elle décide de me garder en observation et de me faire faire des examens. Analia appelle maman afin qu’elle m’apporte des vêtements et moi j’appelle Lucas. Il coupe l’appel et envoie un message

« Quoi ? »

« Je suis hospitalisée au CHUO »

« Quand tu sors envoie la facture. Je paie la moitié évidemment. »

C’est tout. Il ne demande pas pourquoi, si c’est grave, rien. On peut tout dire mais ça fait mal. Ok il n’était pas prêt, mais l’enfant est là. Il va bouder jusqu’à quand ? Analia me trouve en train de pleurer.

- C’est trop Analia, c’est trop. Je dois me battre avec tout le monde, tout le monde me pointe du doigt, tout le monde m’abandonne. Maman passe son temps à m’ignorer, papa à me gronder. J’appelle Lucas il me dit de simplement lui envoyer la facture quand je sors, qu’il ne paie que la moitié.

Elle soupire et s’assoit près de moi.

- Je sais ce que tu vis et malheureusement ce n’est que le début. Être mère célibataire Monia, ce n’est vraiment pas une chose facile.
- Mais toi le père s’occupe.
- Après combien de temps ? Comment ? Monia ce n’est pas l’argent le plus important. J’aurai mille fois préféré un papa pauvre mais présent pour ma fille.
- Mais elle voyage non ? Elle va chez son père.
- Parce que la grand-mère menace, l’enfant ne se sent pas à l’aise chez son père et elle me le dit à chaque fois. L’enfant a plus besoin d’amour que d’argent. Je ne te blâme pas, moi-même je suis tombée enceinte sans le vouloir, je sais ce que tu ressens.

Elle ment. L’amour se mange ? On paie les ordonnances avec l’amour ? Toujours dans les théories bizarres. Ce n’est pas facile que qu’est-ce qui est difficile ? Elle travaille, elle a une nounou, son enfant ne manque de rien, qu’est-ce qui est difficile pour elle ?

Le lendemain je suis surprise de voir Mayite entrer dans ma chambre d’hôpital en même temps que maman. Je suis bien vilaine, la honte devant la belle-mère. Je m’assois et elle me demande de rester allongée si je n’ai vraiment pas de force. J’en profite pour rendre l’affaire grave en rajoutant une couche.

- Il paraît que tu ne te fais pas suivre.

Mayite, elle ne crie jamais hein. Elle n’insulte pas, son frère dit qu’elle ne tape pas non plus, mais j’ai un peu peur d’elle. Pourtant je n’ai pas peur de mes parents. Elle a un regard, une expression du visage, tu n’as vraiment pas envie de jouer avec elle. Je comprends pourquoi ses frères préfèrent son copain à elle. Elle est froide.

- J’avais rendez-vous un jour mais on m’a fait attendre si longtemps que je suis partie.
- Ah bon ?!! Tu crois que quand l’enfant va naître tu ne vas pas attendre pour voir le pédiatre ? Pour les vaccins ? Donc tu ne vas pas suivre la santé de l’enfant ?
- Si, je réponds timidement.
- Vous avez décidé quoi avec Lucas, tu vas te faire suivre où ?
- Je lui ai dit que je veux la clinique OYE.
- Ok !

Ok ! Ok de « j’accepte » ? Heureusement maman lui pose la question.

- Je ne suis que le gestionnaire de Lucas. S’il me dit de sortir deux millions pour l’enfant, je donne. Ce n’est pas mon argent mais le sien.

Tous mes espoirs retombent. Je pensais qu’elle allait payer car Lucas a déjà dit non.

- Et pour le trousseau ? demande maman.
- Lucas me parlait d’utiliser les affaires de mon bébé qui sont encore en bon état. Surtout que j’avais fait un trousseau aux couleurs neutres.

Ça m’énerve mais je ne sais pas pourquoi je n’arrive pas à le lui dire. Je voulais aller faire les magasins, choisir moi-même les choses de mon bébé. Même ça on me le refuse ?

Trois jours à l’hôpital, Mayite est venue me voir tous les jours à midi. Elle m’apportait des fruits, des laitages, mais elle parlait très peu. Elle posait des questions mais uniquement sur le bébé. Lorsque j’ai encore mentionné l’état du plafond de ma chambre, elle m’a répété que je devais gérer cela avec Lucas. Je suis en train de réaliser que les choses peuvent se passer autrement que comme je le voulais. Mais je reste optimiste car on dit souvent que quand on voit l’enfant, le cœur s’adoucit.

   Bref, je peux sortir de l’hôpital, j’étais faible à cause d’une anémie et de carences en minéraux et vitamines. Pour la facture, Lucas a effectivement divisé en deux. Si Analia n’était pas là pour payer, je ne sais pas comment j’aurai fait. Mes parents ont dit qu’ils ne paient rien eux non plus.

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