CHAPITRE 23 - Dig Dug Part. II

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3 Novembre 1984.

— Alors, ce... ce monstre de l'ombre est à la fois ici et dans le Monde à l'Envers ?

Postée dans le couloir devant la porte ouverte de la chambre de Will, Jo détourna la tête du cadet Byers qui barbouillait une nouvelle feuille de pastels sombres sous le regard concerné de Joyce, reportant son attention sur Mike, debout face à elle.

Une grisaille triste s'était lentement emparée du ciel à mesure que les heures s'écoulaient avec lassitude. Le bleu azur et le soleil qui avaient régné jusqu'à présent étaient ternis par des filaments paresseux. La maison des Byers était encore glaciale, et ça malgré les portes refermées depuis longtemps. Ou bien était-ce seulement Jo qui n'arrivait plus à se défaire du frisson constant qui roulait dans sa nuque.

Mike venait de lui faire le compte rendu de la conclusion à laquelle il était arrivé avec Dustin et Lucas, et de la conversation qu'il avait eu avec Will, la veille au soir. Jo avait encore du mal à déchiffrer tout ce mystère de derrière la brume qui hantait son cerveau léthargique. Elle sentait sa gueule de bois traîner en longueur et s'emmêler à ses réflexions—barrer son front d'un étau métallique.

— Ici et en Will, approuva Mike à voix basse.

Son regard inquiet glissait par intermittence jusqu'à son meilleur ami. On entendait le grattement frénétique des crayons sur la feuille de papier se réverbérer doucement dans la bâtisse silencieuse.

— Et plus cette chose se répand, plus Will est connecté à lui ? demanda Jo après un nouveau temps de réflexion.

— Plus il voit ces souvenirs immédiats, conclut Mike.

Est-ce qu'elle était connectée, elle aussi ? Ses cauchemars avaient commencé à peu près en même temps que les épisodes de Will. Pourtant, elle ne se reconnaissait dans aucune des caractéristiques que le garçon subissait. Pas de problèmes avec la température, par d'épisodes, pas de ces « souvenirs immédiats ».

Tout ce qu'elle avait, c'étaient des morceaux d'images qui n'étaient pas les siens—des échos de moments qui ne s'étaient pas encore produits. Elle ne savait pas encore comment ni pourquoi, mais elle savait au fond d'elle qu'elle avait raison sur ce point. Comme un sixième sens accroché à ses tripes. Un tout petit noeud insignifiant, qui n'arrêtait pas de tirer sur ses pensées.

Pourquoi ? Et pourquoi elle ? Elle n'en avait foutrement aucune idée. Elle se sentait encore mal à l'aise d'avoir prononcé tout haut le résultat de ses réflexions à Joyce. Comme si, pendant tout le temps où elle avait gardé cette idée en elle, cachée dans un recoin de sa conscience, elle avait encore une chance d'éviter l'orage. De faire marche arrière et de s'éloigner. Mais maintenant qu'elle s'était confiée à Joyce, qu'elle avait posé des mots sur son incertitude, elle avait l'impression de se tenir droit devant la tempête qui approchait sur eux.

— Alors, ça veut dire que Will peut épier ce que cette chose voit et ressent, reprit enfin Jo. Comme un espion.

— Un super-espion, approuva Mike en hochant vigoureusement la tête. C'est peut-être comme ça qu'on arrivera à l'arrêter.

Le grattement nerveux du crayon contre le papier s'arrêta enfin. Jo releva vivement la tête vers Will, surveillant la silhouette frêle qui se redressait lentement sur sa chaise. Il avait une lassitude presque douloureuse dans sa posture.

— C'est là que tu l'as vu ? demanda Joyce en s'approchant, ses bras croisés serrés contre sa poitrine. C'est là que tu as vu Hopper ?

— Je crois, marmonna Will d'une voix fatiguée, alors que Jo et Mike s'approchaient rapidement. Ouais.

She's Lost ControlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant