trois - Esmée

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J'ai pris deux minutes pour émerger complètement et réaliser l'étendue de la mouise dans laquelle je me trouvais.

La première chose que j'ai voulu faire, c'est appeler Julia pour lui demander de me sortir de là. Pour parler avec sincérité, ça n'aurait pas été la première fois qu'elle venait à ma rescousse lors d'un mauvais pas de ce style.

Mais assez rapidement, j'ai constaté que la pièce était baignée de lumière, et en sortant de veille mon téléphone, j'ai vu qu'il était plus d'onze heures du matin.

Sacrée soirée.

A cette heure-ci, Julia était déjà au travail et certainement injoignable, ce qui n'arrangeait pas mes affaires.

J'ai repoussé les draps et me suis relevée, avec la ferme intention de visiter l'appartement dans lequel je me trouvais. J'ai récupéré mes vêtements qui avaient été posés sur une chaise (par moi ou par quelqu'un d'autre, si seulement je le savais).

Après m'être habillée rapidement, j'ai prêté attention à ce qui m'entourait, étudiant la pièce. Des moulures au mur, une corniche, une petite cheminée ancienne, un très haut plafond, et de l'autre côté de la porte-fenêtre, une balustrade en fer forgé.

J'ai parcouru les quelques pas qui me séparaient de la porte, manquant de glisser en chaussettes sur le parquet ciré.

Le reste de l'appartement était à l'image de la chambre : lumineux, de style ancien mais bien rénové. Depuis le couloir, j'avais aperçu une autre chambre par la porte entrebâillée, ainsi qu'une cuisine moderne et bien équipée.

Je suis finalement arrivée dans la grande pièce à vivre, décorée avec goût. De l'autre côté de la pièce, une immense bibliothèque occupait tout un pan de mur, derrière un joli bureau d'époque Louis XV. Plus près de moi, la partie salon avait été aménagée dans un style beaucoup plus contemporain et contrasté.

Si j'avais eu les moyens et qu'il avait été à vendre, j'aurais volontiers acheté cet appartement.

Mes chaussures attendaient au milieu d'autres, devant la porte d'entrée, tandis que mon manteau et mon sac à main avaient été accrochés à une patère derrière celle-ci. Sur la poignée de porte, un autre post-it sur lequel était écrit : "Claque la porte derrière toi en partant", accompagné d'un petit bonhomme au visage souriant.

Je lui ai souri en retour, car je devinais que Myriam avait du faire de même en l'écrivant.

A cet instant-là j'aurais aimé avoir un moyen de remonter dans le temps pour m'adresser à Esmée-en-L3-de-lettres-modernes, et lui dire : "tu sais, cette prof qui te plaît tellement... dans trois ans tu vas passer la nuit chez elle sans plus te souvenir de rien."

Oui, j'aurais vraiment voulu voir ma tête.

J'ai enfilé mon manteau, mes chaussures, attrapé mon sac, et juste avant de refermer la porte derrière moi, j'ai jeté un dernier regard à l'appartement.

Et puis je suis partie.


Lorsque j'ai posé un pied dans la rue, j'ai tout de suite reconnu l'endroit où je me trouvais. Myriam habitait en fait à quatre cents mètres de chez moi, à peine. J'ai bifurqué rapidement pour prendre la grande avenue piétonne, bordée de commerces de chaque côté. Du monde se pressait sur le pavé, une scène habituelle pour un mercredi matin ensoleillé.

Une fois rentrée chez moi, je me suis dirigée directement vers la bibliothèque à côté de mon bureau, sans même enlever ma veste ou mes chaussures. J'ai sorti trois carnets, mes "journaux de bord" de cette année-là, pour relire ce que j'avais écrit de notre première rencontre. Après avoir feuilleté quelques pages, je suis finalement tombée sur l'extrait correspondant à ce premier cours de sociologie.

Drache poétique [gxg]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant