En m'asseyant dans le TGV, j'ai été prise d'un doute affreux, à savoir "avais-je ou n'avais-je pas fermé à clé mon bureau en partant". J'ai écrit un SMS en urgence à Léo pour lui demander de vérifier, en espérant qu'il soit toujours à l'université.
J'avais soigneusement choisi mon TER, en provenance des stations balnéaires chics de la Baie de Somme et quasi sans arrêt jusqu'à Paris, pour éviter les gares mal fréquentées de l'Île-de-France.
Pour les mêmes raisons, arrivée dans la capitale, j'ai préféré le taxi au métro, et ce n'est qu'une fois que le TGV a quitté la gare Montparnasse que j'ai pu souffler. Tout s'était parfaitement déroulé, sans retard, sans pickpocket, sans alerte à la bombe impromptue.
J'allais envoyer un message à Yann pour le prévenir de mon heure d'arrivée, quand j'ai vu un message d'Esmée me souhaitant bon voyage.
J'ai esquissé un sourire et appuyé ma tête contre la vitre. Elle était adorable. J'avais du me décommander de notre récente tradition, nous retrouvant habituellement au café de Saëns pour travailler depuis maintenant six samedis matins.
Esmée avait une vision du monde bien à elle, et surtout une présence étrangement solaire. Même dans les moments où nous ne parlions pas, face-à-face au café de Saëns, chacune sur notre ordinateur, je savais qu'il aurait suffi que je m'adresse à elle pour qu'elle lève les yeux vers moi et me sourie.
Je regrettais vraiment de devoir manquer notre séance du lendemain, mais j'accomplissais mes obligations familiales, et Esmée l'avait bien compris.
J'ai sorti mon ordinateur, pour prendre de l'avance sur mon planning de préparation des cours des semaines suivantes, et avant que je ne m'en rende compte, la nuit était tombée au dehors.
Lorsque je suis descendue sur le quai, mon mari m'attendait comme chaque fois. Il m'a embrassé avant de prendre ma valise, et dès que nous avons quitté le hall de gare, j'ai allumé ma cigarette électronique.
-Je croyais que tu arrêtais de fumer ?
-J'ai arrêté d'arrêter... C'est un dérivatif comme un autre tu sais, et puis il n'y a pas d'odeur, tu ne peux pas te plaindre...
-Je ne me plaignais pas, je faisais simplement la conversation.
Entre nous, rien n'était plus simple conversation, et ce depuis ces fameuses quatre années passées en Picardie. Il le savait aussi bien que moi, mais nous faisions tous les deux mine de ne pas nous en rendre compte.
Une fois dans la voiture, j'ai entamé les formalités d'usage. C'était l'étape 2 du planning de mon retour : les formalités dans la voiture. S'ensuivaient ensuite l'étape 3, manger les restes froids du dîner à même le plat, l'étape 4, faire semblant d'échanger d'autres banalités sur le canapé tout en buvant un verre de vin, et l'étape 5, faire l'amour.
Tout cela nous était nécessaire pour nous replonger dans une vie de couple laissée en stand-by le reste du temps, et jusqu'ici, ça nous avait plutôt bien réussi.
-Est-ce que tu as enfin pu parler au directeur de publication pour ton article ? l'ai-je interrogé.
-J'ai envoyé un mail, pas de réponse pour l'instant. Et toi, ce problème avec le remaquettage de la première année de licence ?
-Toujours en négociation, mes ouailles ne veulent pas lâcher l'affaire et je les comprends. Mais on doit se caler sur la circulaire ministérielle, on n'a pas vraiment le choix de toute façon.
Tout en répondant, j'ai glissé la main dans mon sac à main pour attraper mon téléphone.
-Excuse-moi trente secondes, j'ai envoyé Léo vérifier un truc pour moi et il faut que je lui réponde.
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Drache poétique [gxg]
DragosteLes histoires de destinée, c'est de la connerie, je l'ai toujours dit. Mais ce jour-là, une prof de fac pour qui j'avais craqué trois ans auparavant s'est assise, à côté de moi, à une conférence organisée par l'association queer du coin. Alors je me...