dix-sept - Myriam

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Arrivée chez moi, j'ai posé mon sac dans l'entrée puis ôté chaussures et manteau en vitesse pour aller me servir un verre d'eau dans la cuisine. Bien fraîche de préférence, pour me remettre les idées en place.

J'ai observé le niveau d'eau monter dans le verre avec une lenteur exaspérante, avant de le descendre d'une traite.

J'ai attendu quelques secondes, appuyée contre le plan de travail du bout des doigts, en espérant que ça suffirait à calmer toutes les pensées contradictoires qui se bousculaient dans mon crâne. Sans grand résultat.

Me décidant pour quelque chose de plus fort, j'ai ouvert le placard-ersatz-de-cave à la volée. Trois bouteilles de bordeaux, une de champagne. Ça n'allait pas avec mon humeur.

Je les ai poussées ainsi que deux litres d'huile d'olive que je stockais là, afin de mettre la main sur le rhum arrangé qu'un collègue m'avait gentiment rapporté d'un séjour dans les îles. Le flacon de vingt centilitres était à peine entamé dans la mesure où je ne raffolais pas du rhum, mais pour ce soir il ferait bien l'affaire.

Je m'en suis servi deux doigts, que j'ai bus dans la minute suivante, retenant une grimace au passage de l'alcool fort dans ma gorge.

L'horloge du four n'indiquait même pas encore dix-neuf heures, et je me trouvais complètement désoeuvrée, incapable de penser à quoi que ce soit d'autre qu'à ce qui s'était produit quelques minutes plus tôt.

J'ai jeté un oeil à mon téléphone, dont l'écran restait désespérément noir. Combien de temps fallait-il réellement pour faire quatre-cents mètres à pied ?

J'avais besoin de fumer et de m'allonger. Pas nécessairement dans cet ordre.

D'un pas décidé, j'ai traversé l'appartement jusqu'à la chambre, en essayant de ne pas glisser sur le parquet. Je me suis laissée tomber sur mon lit, pivotant sur un pied pour m'écraser dos contre le matelas, bras tendus et jambes dans le vide.

Mon téléphone a vibré dans ma main droite. J'ai replié le bras pour lire le message d'Esmée m'indiquant être bien arrivée.

Comme chaque fois qu'elle m'écrivait, j'avais le sourire aux lèvres en la lisant, mais ce sourire avait ce soir-là un goût doux-amer.

J'ai répondu rapidement, quelque chose de ni trop chaleureux ni trop froid, juste au milieu, exactement comme je me sentais à l'instant-même. J'ai posé le téléphone sur mon plexus et étendu de nouveau les bras.

Juste au-dessus de mes yeux, il y avait une étrange marque gris sombre sur la peinture, ressemblant à une sorte de coup de crayon qu'on aurait tracé à la main sur le plafond. Celui-ci m'apparaissait soudain digne d'un intérêt que je ne lui avais jamais porté auparavant.

Déménagement, dispute conjugale ou même moustique malchanceux.

Cette marque avait toujours été là, élément immuable de mon décor, et je me demandais quelle manoeuvre insolite les anciens locataires avaient réalisée pour l'inscrire à jamais à cet endroit. Ou du moins jusqu'au prochain coup de peinture, dans une dizaine d'années, ce qui dépassait de loin mes ambitions locatives dans cet appartement et correspondait donc, dans mon référentiel, à une forme d'éternité.

Mon téléphone a vibré plusieurs fois d'affilée, et j'ai décroché immédiatement.

— Allô ? ai-je dit avec un empressement ridicule en espérant entendre Esmée. Ah, c'est toi Yann, bonsoir.

J'ai tenté de masquer ma déception, sans doute assez mal.

— Wow, quel accueil, a-t-il ri amèrement. Je te rappelle plus tard si tu as autre chose de prévu.

Drache poétique [gxg]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant