Par chance pour moi mais sans doute pas pour lui, Yann a pris mon appel immédiatement.
— Comment as-tu pu me faire ça ? me suis-je exclamée sans lui laisser le temps de prononcer un mot.
De mon propre aveu, cet appel aurait certainement pu avoir lieu le soir-même, attendre qu'il soit rentré du travail, cependant à l'instant où j'avais appuyé sur la petite icône en forme de téléphone, ça ne m'avait pas traversé l'esprit.
— Okay, ils t'ont appelée, a-t-il soufflé en comprenant instantanément à quoi je faisais allusion.
— Oh non, ils ne m'ont pas appelée, ils n'ont pas envoyé de mail non plus ! Ils m'ont envoyé une belle lettre, paraphée par le service des ressources humaines ! Une lettre, chez moi, ici ! Non mais tu es malade ?
— Respire un bon coup s'il-te-plaît. Je comprends que tu sois fâchée mais on va avoir du mal à en discuter si tu ne fais que m'aboyer dessus.
— En discuter ? Tu veux en discuter ?
— J'aimerais oui, même si ça s'annonce mal.
— Mais évidemment que ça s'annonce mal ! Est-ce que tu te rends compte de ce que tu as fait ? J'arrive même pas à croire que tu aies outrepassé toutes les limites existantes comme ça ! T'as fourni des faux en mon nom, tu te rends compte du nombre de fois où tu as certainement imité ma signature pour cette mascarade ?
— Seulement deux fois, si tu veux tout savoir.
J'ai eu un rire amer.
— Formidable, me voilà rassurée.
J'aurais presque pu l'entendre secouer la tête d'un air exaspéré.
— Tu as lu ce qu'ils te proposent avant de te mettre à hurler ? La direction du master de sociologie politique. Tu as rêvé de ce poste toute ta carrière, tu as le profil parfait pour ça et ils ont l'air d'être de mon avis.
— Ça ne change strictement rien.
— Ça change tout au contraire. Descends de tes grands chevaux deux secondes et écoute-moi. Quand tu enseignais à SciencesPo dans le sud, tu t'éclatais dans ce que tu faisais. A Amiens tu gâches ton talent. Tu fais de l'humanitaire, tu enseignes à ceux qui n'ont pas le talent pour les facs de Paris. Mais toi qu'est-ce que tu en tires ? Rien du tout. Une carrière d'enseignant-chercheur à Amiens, ce n'est rien.
— Tu racontes n'importe quoi.
— Et toi tu as la mémoire courte. Tu ne te souviens pas de ce que tu me disais quand tu as eu ce poste ? Que tu avais fait toutes tes études à la Sorbonne et toute ta carrière dans un campus étiqueté SciencesPo Paris, et que tu méritais mieux que la Picardie.
— Tout ce que ça prouve, c'est que je suis une conne snob et prétentieuse, pas grand chose de plus.
— L'important, c'est que quelqu'un soit là pour te rappeler à quel monde tu appartiens. Tu n'as rien à faire là où tu es.
J'ai marqué une pause, le temps de bien réaliser tout ce qui venait de se dire.
— Dis-moi, lui ai-je finalement demandé, est-ce que tu penses que tu as toujours été ce type abject ? Ou bien c'est nouveau ?
Je l'ai entendu hoqueter de surprise à l'autre bout du fil.
— J'ai fait ce que j'avais à faire pour réunir ma famille, a-t-il répondu d'une voix blanche. Pour que ma femme soit heureuse dans son travail et me rejoigne à Bordeaux, ainsi que notre fille. Si tu trouves ça abject, alors je ne peux rien faire pour toi.
— Ce n'est pas ça dont je te parle. Bien que ça ne soit vraiment pas terrible non plus, mais on en reparlera, ai-je ajouté. Ce dont je te parle, ce sont tes positions élitistes dégueulasses. Tiens, si on ne donnait de bons profs qu'aux enfants de riches ? Et puis après tout, pourquoi les moins favorisés iraient-ils à l'école, puisqu'on va par là. Tu sais comment ça s'appelle ça ? L'Ancien Régime. Et on a décapité un roi pour cette exacte raison.
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Drache poétique [gxg]
Lãng mạnLes histoires de destinée, c'est de la connerie, je l'ai toujours dit. Mais ce jour-là, une prof de fac pour qui j'avais craqué trois ans auparavant s'est assise, à côté de moi, à une conférence organisée par l'association queer du coin. Alors je me...