huit - Myriam

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Assise sur un tabouret de bar, je terminais de tartiner du houmous sur des blinis, destinés aux collègues de Yann qu'il m'avait rappelé le matin même avoir conviés pour le dîner. Blinis et houmous bien évidemment faits maison et végans, parce que même si de nombreux stéréotypes sont absurdes, d'autres se basent tout de même sur un fond de vérité.

Après tout, nous autres sociologues nous réclamions tous plus ou moins de la bourgeoisie-bohème, presque par essence, à différents degrés sur l'échelle allant de la nourriture bio jusqu'au vote écologiste aux présidentielles. Et cela même si certains - dont je faisais sûrement partie - se cantonnaient déjà à être des bourgeois tout court, ce qui n'avait rien d'une fierté en soi.

A dix-neuf heures trente presque tapantes, la sonnette a retenti, et j'ai senti tout mon corps se tendre dans un même mouvement réflexe.

J'ai fini par descendre de mon tabouret pour aller saluer le flux quasi continuel d'invités arrivant. Ils n'étaient pas si nombreux, mais après les salutations d'usage, on entamait avec chacun la conversation qui suivait naturellement, toujours la même : "Vous avez réussi à vous garer facilement ? Le quartier est un peu pénible." et autres "comment vont les enfants ?".

Cette conversation avait obligatoirement lieu debout, dans l'entrée, pendant que chacun retirait son manteau et le déposait sur son bras en attendant qu'on lui indique d'avancer dans le salon. Et alors que finalement Yann ou moi-même prononcions les mots libérateurs, à savoir, "mais ne restez pas dans l'entrée, je vais prendre vos vestes", les suivants sonnaient à l'interphone.

Lorsque l'affluence s'est calmée dans l'entrée, Yann est retourné à la cuisine pour déboucher le rosé et je suis allée vérifier que ma fille n'avait besoin de rien.

Et puis j'ai entendu la voix de Virginie, et je n'ai pas pu m'empêcher de sourire.

- Seb gare la voiture, il arrive, a-t-elle expliqué à Yann tandis qu'il prenait sa veste.

C'était certainement la seule personne parmi toute cette assemblée que j'étais sincèrement heureuse de retrouver.

Virginie a jailli dans la pièce à vivre.

- Myriam, je suis tellement contente de voir, ça fait beaucoup trop longtemps ! s'est-elle exclamée en venant à ma rencontre avant de me serrer contre elle.

- Moi aussi, je suis ravie ! Les garçons sont restés à la maison ?

Virginie a fait la moue.

- Antonin avait des révisions à faire, il a promis de garder un oeil sur son petit frère, alors j'ai cédé... C'est dommage, Lina aurait sûrement été contente de jouer à la console avec eux.

Je me suis tournée un instant pour jeter un oeil à ma fille, assise dans le canapé, plongée dans un coloriage.

- Sans doute oui... C'est fou ce qu'ils grandissent vite, tous !

Virginie a acquiescé.

- Dans deux ans, je n'en aurai plus qu'un à la maison... Ça me paraît si loin et si près à la fois, c'est très étrange.

- Il sera sûrement d'autant plus content de rentrer, pour se faire chouchouter, l'ai-je rassurée dans un sourire.

Elle a hoché la tête lentement. Enseignante en SES au lycée, elle avait pour mari un collègue et très bon ami de Yann, ce qui nous avait amenées à nous voir souvent, à une époque.

- Comment ça va, toi ? a-t-elle demandé tandis que je lui servais un verre de vin.

- Bien, et toi ? ai-je éludé dans un sourire.

Drache poétique [gxg]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant