Dans le doute, le premier samedi matin après la rentrée de janvier, j'avais fait le chemin jusqu'au café de Saëns. Au cas où Myriam m'y attendrait malgré les semaines de silence. J'avais collé mon visage à la vitrine sous le regard des clients interloqués, mais aucune trace de la femme que je cherchais.
Salomé m'avait pourtant confirmé qu'elle avait assuré ses cours toute la semaine, comme d'habitude. Comme si de rien n'était.
J'en étais presque au stade où j'en voulais à Salomé de voir Myriam au moment même où la vie ne m'en donnait plus le droit.
J'avais voulu attendre de voir, et maintenant j'avais vu. Elle avait fait une croix sur moi, sans me donner d'explications. Et je devais apprendre à vivre avec ça. Je n'étais pas complètement certaine d'y parvenir sans qu'elle m'ait fourni les clés pour comprendre.
D'autant que, me connaissant, la tristesse allait être rapidement avalée par une colère sourde qui avait tendance à ralentir les divers processus de deuil.
C'est dans ce contexte de ressentiment certain que, lorsque Salomé m'a proposé d'assister à une conférence au département de sociologie, un soir prochain, elle a pensé à préciser :
— Mme Belhadj y sera sûrement, tu le sais n'est-ce pas ?
Elle marchait sur des oeufs. Je ne lui avais pas donné de détails sur les circonstances qui avaient amené ce froid palpable entre Myriam et moi, dans la mesure où je ne les connaissais pas moi-même. Néanmoins Salomé se trouvait être une nana intelligente, ça n'était pas nouveau, et elle avait elle-même relié les points entre eux.
— Je me doute bien qu'elle sera là, elle dirige le département, ai-je soupiré. Mais ça ne va certainement pas m'empêcher d'y aller. Il ne manquerait plus que ça, d'ailleurs.
Après tout, c'était elle qui avait choisi de ne plus me voir. Et dans un amphithéâtre de cinq-cents places, les chances que l'on se croise se révélaient assez faibles, statistiquement parlant.
***
Le soir de la conférence, un vendredi pluvieux, nous avons traversé le centre-ville à pied pour rejoindre la fac de sciences humaines et sociales. C'était la toute première fois que j'y venais et Salomé m'a fait une visite guidée rapide. A vrai dire, c'était plus grand que je ne l'avais imaginé.
Nous avons ensuite rejoint la file d'attente pour faire scanner nos billets d'entrée, avant de suivre les panneaux jusqu'à l'amphithéâtre où avait lieu la conférence.
Une certaine foule compacte était déjà présente, répartie sans aucune forme de rythme ou de cohérence sur les différentes rangées. Nous avons descendu quelques marches, avant de nous installer au milieu, côté gauche.
Les premiers rangs étaient sans aucun doute dévolus aux enseignants ou à quelques huiles ayant daigné faire le déplacement. A ceux-ci, on avait réservé une autre entrée, par le bas de l'amphi, près de l'estrade.
Je m'étais juré de ne pas trop prêter attention aux gens présents ce soir-là, pourtant je n'avais pas pu m'empêcher de balayer la foule du regard avant de m'installer. De même, je me tournais de temps à autre, discrètement, pour scruter les auditeurs ayant rejoint les rangs supérieurs depuis notre arrivée. Salomé n'avait probablement rien manqué de mon petit manège mais n'avait fait aucune remarque.
Le temps que je cligne des yeux, le conférencier est apparu de nulle part à côté de l'estrade. Il a installé ses affaires sur le bureau, déposant une petite bouteille d'eau près du micro dont il a vérifié le fonctionnement dans un sourire.
Il y avait une petite chance pour que Myriam décide de ne pas venir ce soir-là, mais j'ignorais sincèrement si cette perspective me rassurait, ou m'effrayait au contraire.
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Drache poétique [gxg]
RomanceLes histoires de destinée, c'est de la connerie, je l'ai toujours dit. Mais ce jour-là, une prof de fac pour qui j'avais craqué trois ans auparavant s'est assise, à côté de moi, à une conférence organisée par l'association queer du coin. Alors je me...