un - Esmée

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Alors que la porte de service claquait derrière moi dans un bruit métallique, j'ai vu apparaître la tête de Tim par l'encadrement de la porte de la cuisine.

-Vous avez fait un détour par la Lituanie ? nous a-t-il accueillies dans un sourire taquin.

Julia a titubé à l'intérieur de la salle de conférence jusqu'à le rejoindre, avant de laisser tomber les deux cabas pleins à craquer sur le carrelage.

-Y avait du monde à la caisse, a-t-elle grogné. C'est pas faute de t'avoir demandé de prévoir un minimum à l'avance...

Je connaissais suffisamment Julia pour deviner qu'elle prenait sur elle, sans quoi elle aurait déjà sauté à la gorge de notre pauvre Tim.

L'intéressé m'a adressé un clin d'oeil entendu, tandis que j'ai commencé à vider les sacs sur la grande table. Julia s'est appuyé contre le plan de travail et a décapsulé un soda qui traînait là. Après une ou deux gorgées, elle a repris son rôle de coordinatrice événementiel par intérim, rôle qu'elle s'était attribuée elle-même sans que personne n'ose l'en empêcher.

-La salle est prête c'est bon ?

-On a passé un coup de serpillère, installé les chaises, monté trois tables sur tréteaux pour le buffet, a répondu Tim. Normalement on est dans les temps.

-Parfait. Esmée et moi, on va sûrement aller se poser dans la salle alors, si vous n'avez plus besoin de nous.

J'ai acquiescé, avant de préciser :

-Evidemment, tu peux nous appeler à la rescousse si nécessaire.

Julia a tourné les talons, emportant son soda avec elle, et je lui ai emboîté le pas. La porte de la cuisine s'est fermée derrière nous, nous laissant dans la pièce principale où nous attendaient les chaises empruntées à la salle des fêtes de la mairie.

Je me suis assise, tandis que Julia s'était déplacée vers le fond de la pièce, inspectant la nappe en papier blanc premier prix qui avait été déroulée pour le buffet. Au bout d'un petit moment, elle s'est de nouveau tournée vers moi.

-Honnêtement je ne suis pas sûre de rester pour la conf'. Je suis claquée, et puis j'avoue que l'histoire de la visibilité lesbienne, je m'en carre un peu le cocotier.

-Julia, tu n'as pas de cocotier...

Elle m'a lancé un regard blasé tandis que je retenais un sourire.

-Sans blague. Bref, no offense hein, tu sais que je t'adore, je vous accompagne à la Pride tous les ans Tim et toi, vive les gays, les bis, les lesbiennes, et caetera. Mais deux heures de blabla sur le sujet, franchement...

-T'inquiète, je ne le prends pas mal.

Avec Julia, on apprenait très vite à ne jamais se froisser.

-Mais si Tim voit que tu t'es barrée, il va t'en vouloir à vie, ai-je poursuivi. C'est le premier gros truc qu'il organise pour l'asso, c'est important. Dis-toi que c'est comme si on allait au spectacle de fin d'année de notre enfant, il faut lui faire coucou lorsqu'il va monter sur scène, sinon il sera triste.

Elle a semblé réfléchir quelques secondes avant de se résigner.

-Ouais, t'as pas tort. J'ai été conne, j'ai rien pris à grignoter d'ici 20h30 du coup.

-J'irai piquer des trucs en cuisine tout à l'heure. Ni vu ni connu... C'est pas comme si quelqu'un risquait de me dénoncer, ai-je ajouté en faisant allusion à la salle vide.

Une soixantaine de personnes étaient attendues ce soir-là pour la conférence. Ce qui, pour une petite association queer de province, était un grand événement.


Drache poétique [gxg]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant